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FLATTERIE.

poëtes anglais lauréats au roi d’Angleterre ; mais la meilleure part des louanges est toujours pour le cardinal de Richelieu.

Son âme toute grande est une âme hardie,
Qui pratique si bien l’art de nous secourir
Que, pourvu qu’il soit cru, nous n’avons maladie
Qu’il ne sache guérir[1].

Pour Louis XIV, ce fut un déluge de flatteries. Il ne ressemblait pas à celui qu’on prétend avoir été étouffé sous les feuilles de roses qu’on lui jetait. Il ne s’en porta que mieux.

La flatterie, quand elle a quelques prétextes plausibles, peut n’être pas aussi pernicieuse qu’on le dit. Elle encourage quelquefois aux grandes choses ; mais l’excès est vicieux comme celui de la satire.

La Fontaine a dit, et prétend avoir dit après Ésope :

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Ésope[2] le disait ; j’y souscris quant à moi :
Ce sont maximes toujours bonnes.

(Liv. I, fable xiv.)

Ésope n’a rien dit de cela, et on ne voit point qu’il ait flatté aucun roi ni aucune concubine. Il ne faut pas croire que les rois soient bien flattés de toutes les flatteries dont on les accable. La plupart ne viennent pas jusqu’à eux.

Une sottise fort ordinaire est celle des orateurs qui se fatiguent à louer un prince qui n’en saura jamais rien. Le comble de l’opprobre est qu’Ovide ait loué Auguste en datant de Ponto[3].

Le comble du ridicule pourrait bien se trouver dans les compliments que les prédicateurs adressent aux rois quand ils ont le bonheur de jouer devant leur majesté. Au révérend, révérend père Gaillard, prédicateur du roi : Ah ! révérend père, ne prêches-tu que pour le roi ? es-tu comme le singe de la Foire, qui ne sautait que pour lui ?

  1. Ode de Malherbe (au roi, allant châtier la rébellion des Rochelois). Mais pourquoi Richelieu ne guérissait-il pas Malherbe de la maladie de faire des vers si plats ? (Note de Voltaire.)
  2. On lit dans La Fontaine : Malherbe le disait, etc.
  3. Où il était exilé.