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FIGURE.

Flanqué de chair, gabionné de lard,
Tel en un mot que la nature et l’art,
En maronnant les remparts de son âme,
Songèrent plus au fourreau qu’à la lame.

(Rousseau, allégorie intitulée Midas.)

« La nature et l’art qui maçonnent les remparts d’une âme, ces remparts maçonnés qui se trouvent être une fourniture de chair et un gabion de lard », sont assurément le comble de l’impertinence. Le plus vil faquin travaillant pour la foire Saint-Germain aurait fait des vers plus raisonnables. Mais quand ceux qui sont un peu au fait se souviennent que ce ramas de sottises fut écrit contre un des premiers hommes de la France par sa naissance, par ses places et par son génie, qui avait été le protecteur de ce rimeur, qui l’avait secouru de son crédit et de son argent, et qui avait beaucoup plus d’esprit, d’éloquence et de science que son détracteur : alors on est saisi d’indignation contre le misérable arrangeur de vieux mots impropres rimés richement ; et en louant ce qu’il a de bon, l’on déteste cet horrible abus du talent.

Voici une figure du même auteur non moins fausse et non moins composée d’images qui se détruisent l’une l’autre :

Incontinent vous l’allez voir s’enfler
De tout le vent que peut faire souffler,
Dans les fourneaux d’une tête échauffée,
Fatuité sur sottise greffée.

(Rousseau, Épître au P. Brumoy.)

Le lecteur sent assez que la fatuité, devenue un arbre greffé sur l’arbre de la sottise, ne peut être un soufflet, et que la tête ne peut être un fourneau. Toutes ces contorsions d’un homme qui s’écarte ainsi du naturel ne ressemblent point assurément à la marche décente, aisée et mesurée de Boileau. Ce n’est pas là l’Art poétique.

Y a-t-il un amas de figures plus incohérentes, plus disparates, que cet autre passage du même poëte :

... Tout auteur qui veut, sans perdre haleine,
Boire à longs traits aux sources d’Hippocrène,
Doit s’imposer l’indispensable loi
De s’éprouver, de descendre chez soi,
Et d’y chercher ces semences de flamme
Dont le vrai seul doit embraser notre âme,