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FIERTÉ.

dont il ne résulte rien, sont-elles autre chose que des mensonges ? Et si elles sont incohérentes, entassées sans choix, comme il y en a tant, sont-elles autre chose que des rêves ?

Vous m’assurez pourtant qu’il y a de vieilles fictions très-incohérentes, fort peu ingénieuses, et assez absurdes, qu’on admire encore. Mais prenez garde si ce ne sont pas les grandes images répandues dans ces fictions qu’on admire, plutôt que les inventions qui amènent ces images. Je ne veux pas disputer ; mais voulez-vous être sifflé de toute l’Europe, et ensuite oublié pour jamais ? donnez-nous des fictions semblables à celles que vous admirez.



FIERTÉ[1].

 

Fierté est une des expressions qui, n’ayant d’abord été employées que dans un sens odieux, ont été ensuite détournées à un sens favorable.

C’est un crime quand ce mot signifie la vanité hautaine, altière, orgueilleuse, dédaigneuse ; c’est presque une louange quand il signifie la hauteur d’une âme noble.

C’est un juste éloge dans un général qui marche avec fierté à l’ennemi. Les écrivains ont loué la fierté de la démarche de Louis XIV : ils auraient dû se contenter d’en remarquer la noblesse.

La fierté de l’âme, sans hauteur, est un mérite compatible avec la modestie. Il n’y a que la fierté dans l’air et dans les manières qui choque : elle déplaît dans les rois mêmes.

La fierté dans l’extérieur, dans la société, est l’expression de l’orgueil ; la fierté dans l’âme est de la grandeur.

Les nuances sont si délicates qu’esprit fier est un blâme ; âme fière, une louange : c’est que par esprit fier on entend un homme qui pense avantageusement de soi-même, et par âme fière on entend des sentiments élevés.

La fierté annoncée par l’extérieur est tellement un défaut que les petits qui louent bassement les grands de ce défaut sont obligés de l’adoucir, ou plutôt de le relever par une épithète : cette noble fierté. Elle n’est pas simplement la vanité, qui consiste à se faire valoir par les petites choses ; elle n’est pas la présomption, qui se croit capable des grandes ; elle n’est pas le dédain, qui ajoute encore le mépris des autres à l’air de la grande opinion de soi- même ; mais elle s’allie intimement avec tous ces défauts.

  1. Encyclopédie, tome VI, 1756. (B.)