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ARISTOTE.

Par exemple, quand il dit dans son chapitre vii que les principes des corps sont la matière, la privation, la forme, il semble qu’il dise une bêtise énorme : ce n’en est pourtant point une. La matière, selon lui, est le premier principe de tout, le sujet de tout, indifférent à tout. La forme lui est essentielle pour devenir une certaine chose. La privation est ce qui distingue un être de toutes les choses qui ne sont point en lui. La matière est indifférente à devenir rose ou poirier. Mais, quand elle est poirier ou rose, elle est privée de tout ce qui la ferait argent ou plomb. Cette vérité ne valait peut-être pas la peine d’être énoncée ; mais enfin il n’y a rien là que de très-intelligible, et rien qui soit impertinent.

L’acte de ce qui est en puissance paraît ridicule, et ne l’est pas davantage. La matière peut devenir tout ce qu’on voudra, feu, terre, eau, vapeur, métal, minéral, animal, arbre, fleur. C’est tout ce que cette expression d’acte en puissance signifie. Ainsi il n’y avait point de ridicule chez les Grecs à dire que le mouvement était un acte de puissance, puisque la matière peut être mue. Et il est fort vraisemblable qu’Aristote entendait par là que le mouvement n’est pas essentiel à la matière.

Aristote dut faire nécessairement une très-mauvaise physique de détail ; et c’est ce qui lui a été commun avec tous les philosophes, jusqu’au temps où les Galilée, les Torricelli, les Gueric, les Drebellius, les Boyle, l’Académie del Cimento, commencèrent à faire des expériences. La physique est une mine dans laquelle on ne peut descendre qu’avec des machines que les anciens n’ont jamais connues. Ils sont restés sur le bord de l’abime, et ont raisonné sur ce qu’il contenait sans le voir.

TRAITÉ D’ARISTOTE SUR LES ANIMAUX.


Ses Recherches sur les animaux, au contraire, ont été le meilleur livre de l’antiquité, parce qu’Aristote se servit de ses yeux. Alexandre lui fournit tous les animaux rares de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie. Ce fut un fruit de ses conquêtes. Ce héros y dépensa des sommes qui effrayeraient tous les gardes du trésor royal d’aujourd’hui ; et c’est ce qui doit immortaliser la gloire d’Alexandre, dont nous avons déjà parlé.

De nos jours un héros, quand il a le malheur de faire la guerre, peut à peine donner quelque encouragement aux sciences ; il faut qu’il emprunte de l’argent d’un Juif, et qu’il consulte continuellement des âmes juives pour faire couler la substance de