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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III.


Demetri, que nous nommons Demetrius, et usurpa l’empire. Un jeune moine prit le nom de Demetrius, prétendit être le prince échappé aux assassins, et, secouru des Polonais et d’un grand parti que les tyrans ont toujours contre eux, il chassa l’usurpateur, et usurpa lui-même la couronne. On reconnut son imposture dès qu’il fut maître, parce qu’on fut mécontent de lui : il fut assassiné. Trois autres faux Demetrius s’élevèrent l’un après l’autre. Cette suite d’impostures supposait un pays tout en désordre. Moins les hommes sont civilisés, plus il est aisé de leur en imposer. On peut juger à quel point ces fraudes augmentaient la confusion et le malheur public. Les Polonais, qui avaient commencé les révolutions en établissant le premier faux Demetri, furent sur le point de régner en Russie. Les Suédois partagèrent les dépouilles du côté de la Finlande, et prétendirent aussi au trône ; l’État était menacé d’une ruine entière.

Au milieu de ces malheurs, une assemblée composée des principaux boïards élut pour souverain, en 1613, un jeune homme de quinze ans : ce qui ne paraissait pas un moyen sûr de finir les troubles. Ce jeune homme était Michel Romano[1], grand-père du czar Pierre, fils de l’archevêque de Rostou, surnommé Philarète, et d’une religieuse, allié par les femmes aux anciens czars.

Il faut savoir que cet archevêque était un seigneur puissant que le tyran Boris avait forcé de se faire prêtre. Sa femme Sheremeto[2] fut aussi contrainte de prendre le voile : c’était un ancien usage des tyrans occidentaux chrétiens latins ; celui des chrétiens grecs était de crever les yeux. Le tyran Demetri donna à Philarète l’archevêché de Rostou, et l’envoya ambassadeur en Pologne. Cet ambassadeur était prisonnier chez les Polonais, alors en guerre avec les Russes, tant le droit des gens était ignoré chez tous ces peuples. Ce fut pendant sa détention que le jeune Romano, fils de cet archevêque, fut élu czar. On échangea son père contre des prisonniers polonais, et le jeune czar créa son père patriarche : ce vieillard fut souverain en effet sous le nom de son fils.

Si un tel gouvernement paraît singulier aux étrangers, le mariage du czar Michel Romano le semble davantage. Les monarques des Russies ne prenaient plus des épouses dans les autres États depuis l’an 1490. Il paraît que depuis qu’ils eurent Casan et

  1. Les Russes écrivent Romanow : les Français ne se servent point du w. On prononce aussi Romanof. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez la note de Voltaire, page 450.