Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
549
LE ROYAUME DÉMEMBRÉ.


défendit aux archevêques et évêques de publier ses bulles, sous peine d’être déclarés criminels de lèse-majesté, et enfin appela au futur concile de l’élection de Grégoire XIV.

Cette démarche, qui étonna toute la France, était régulière et simple. C’était en effet une insulte à toutes les lois et à la raison humaine qu’un évêque étranger osât décider du droit des couronnes. La religion, qui lui servait de prétexte, condamnait elle-même cette audace, et le bon sens en faisait sentir le ridicule ; mais depuis Grégoire VII, l’opinion, qui fait tout, avait enraciné ces funestes idées dans toutes les têtes ecclésiastiques, qui avaient versé ce poison dans celles des peuples. L’ignorance recevait ces maximes, la fraude les appuyait, et le fer les soutenait. Un moine suffisait alors parmi les catholiques pour persuader que l’apôtre Pierre, qui n’alla jamais à Rome[1], et qui ne pouvait savoir la langue latine, avait siégé vingt-cinq ans sous Tibère et sous d’autres empereurs, dans un temps où le titre d’évêché n’était affecté à aucun lieu ; et que de ce prétendu siége il avait transmis à Grégoire XIV, qui vint quinze cents ans après lui, le droit de parler en maître à tous les souverains et à toutes les Églises, Il fallait être ligueur effréné, ou imbécile, pour croire de telles fables et pour se soumettre à une telle tyrannie.

Il se trouva, pour l’honneur de la France, deux cardinaux et huit évêques qui secondèrent la fermeté du vrai parlement, autant que le permettait leur caractère. Les cardinaux étaient celui de Bourbon, cousin germain du roi, et de Lenoncourt, quoique Lorrain. Les prélats étaient de Beaune, archevêque de Bourges ; du Bec, évêque de Nantes ; de Thou, évêque de Chartres ; Fumée, de Beauvais ; Sourdis, de Maillezais[2] ; d’Angennes, du Mans ; Clausse, de Châlons ; d’Aillon, de Bayeux. Leurs noms méritent d’être consacrés à la postérité.

(21 septembre 1591) Ils firent ensemble un mandement à Chartres, adressé à tous les catholiques du royaume. « Nous sommes informés, disent-ils, que Grégoire XIV, mal instruit, et trompé par les artifices des ennemis de l’État, a envoyé des bulles et des monitoires pour interdire et excommunier les évêques, les princes et la noblesse, qui ne sont pas rebelles à leur roi... Après une mûre délibération, nous déclarons ces excommunications nulles dans la forme et dans le fond.

  1. Voyez Dictionnaire philosophique, article Voyage de saint Pierre à Rome.
  2. Évêché qui ne subsiste plus, et qui fut transféré à la Rochelle dès l'année 1649. (Note de Voltaire.)