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CHAPITRE XXX.


nabé Brisson, qui accepta ce dangereux poste. Il crut se préparer une ressource contre l’indignation du roi en protestant secrètement par devant les notaires Luçon et Le Noir que c’était malgré lui qu’il présidait à ce parlement, et qu’il cédait à la violence ; protestation qui sert rarement d’excuse, et qui ne décèle qu’un esprit faible.

Le premier président Achille de Harlai, plus courageux, aima mieux rester à la Bastille que de trahir son roi et sa conscience[1]. Brisson crut ménager les deux partis, et fut bientôt la victime de sa politique malheureuse.

Ce fut dans ce même mois de janvier que la Sorbonne, s’étant assemblée extraordinairement au nombre de soixante et dix docteurs, déclara que le peuple était libre du serment de fidélité prêté au roi, populus hujus regni solutus est et liberatus a sacramento fidelitalis, etc. Un tel acte n’aurait été dans d’autres temps qu’un crime de lèse-majesté au premier chef ; mais alors c’était un arrêt d’une cour souveraine de conscience, arrêt qui, favorisant l’opinion publique, était exécuté avec zèle[2].

Le jeudi 26 janvier[3], le héraut Auvergne, envoyé de la part du roi, se présenta aux portes de Paris pour interdire le parlement et les autres cours supérieures. On le mit en prison ; il fut menacé de la corde, et renvoyé sans réponse. Le roi avait indiqué que son parlement se tiendrait à Tours, comme Charles VII avait tenu le sien à Poitiers ; mais il ne réussit pas mieux que Charles VII. Il créa quelques conseillers nouveaux ; ceux qui pouvaient lui être affectionnés dans le parlement de Paris n’eurent pas la liberté d’aller à Tours, et cette cour continua ses fonctions sans difficulté.

  1. M. de Voltaire, dans la Henriade, chant IV, vers 44142, dit, en parlant de Harlai :

    Il se présente aux Seize, il demande des fers,
    Du front dont il aurait condamné ces pervers.


    Ces vers ne sont point une exagération poétique : ils rendent exactement ce qu’on trouve dans les mémoires du temps. C’est ce même Harlai qui, lorsque le duc de Guise voulut lui faire une grande apologie de sa conduite dans la journée des Barricades, lui dit pour toute réponse : « Monsieur, c’est grande pitié quand le valet chasse le maître de la maison. »

    Il était peu riche ; le roi lui avait donné un terrain pour bâtir une maison. Ayant été obligé quelque temps après de s’opposer à un édit qu’il croyait injuste, il renvoya le brevet de ce don. Le roi ne voulut pas l’accepter. Il mourut sous Louis XIII, âgé d’environ quatre-vingts ans. (K.)

  2. Ce décret de la Sorbonne se trouve inséré en entier dans les notes de la Henriade, tome VIII, page 118.
  3. 1589. (Note de Voltaire.)