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DU SUPPLICE D’ANNE DUBOURG.


Un de leurs confrères les dénonça au roi. Il violait en cela son serment de conseiller, qui est de tenir les délibérations de la cour secrètes. Il violait encore plus les lois de l’honneur et de l’équité.

Le roi, excité par les Guises, et séduit par cette malheureuse politique qui fait croire que la liberté de penser détruit l’obéissance, vint au parlement, le 15 juin 1559, sans être attendu. Il était accompagné de Bertrand, ou Bertrandi, cardinal, garde des sceaux, autrefois premier président du parlement, homme tout dévoué aux maximes ultramontaines. Le connétable de Montmorency et plusieurs grands officiers de la couronne prirent séance.

Le roi, qui savait qu’on délibérait alors sur la même matière, voulut qu’on continuât à parler en liberté : plusieurs tombèrent dans le piège qu’on leur tendait. Le conseiller Claude Viole et Louis du Faur recommandèrent éloquemment la réforme des mœurs et la tolérance des religions. Le conseiller Dubourg s’expliqua avec encore plus de force : il montra combien il était affreux de voir régner à la cour la débauche, l’adultère, la concussion, l’homicide, tandis qu’on livrait aux tourments et à la mort des citoyens qui servaient le roi selon les lois du royaume, et Dieu selon leur conscience.

Dubourg, neveu du chancelier de ce nom, était diacre ; sa cléricature l’avait engagé à étudier plus qu’un autre cette funeste théologie qui est, depuis tant de siècles, un amas d’opinions contraires. La science l’avait fait tomber dans l’opinion de ces réformateurs ; d’ailleurs juge intègre, homme d’une vie irréprochable, et citoyen zélé.

Le roi ordonna au connétable de faire arrêter sur-le-champ Dubourg, du Faur, de Foix, Fumée, La Porte : les autres eurent le temps de se sauver. Il y avait dans le parlement beaucoup plus de magistrats attachés à la maison de Guise qu’aux sciences.

Saint-André et Minard, présidents aux enquêtes, poursuivirent la mort d’Anne Dubourg. Comme il était dans le sacerdoce, il fut d’abord jugé par l’évêque de Paris, du Bellai, assisté de l’inquisiteur Mouchy : il appela comme d’abus de la sentence de l’évêque, il réclama son droit d’être jugé par ses pairs, c’est-à-dire par les chambres du parlement assemblées ; mais l’esprit de parti et l’asservissement aux Guises l’ayant emporté au parlement sur une de ses plus grandes prérogatives, Dubourg fut jugé successivement à l’officialité de Paris, à celle de Sens, et à celle de Lyon, et condamné dans toutes les trois à être dégradé et livré au bras séculier comme hérétique. On le mena d’abord à l’officialité ; là, étant revêtu de ses habits sacerdotaux, on les lui arracha l’un après