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CHAPITRE XXVIII.

de l’esprit faisaient un des plaisirs de sa cour, qu’il entrait dans ces plaisirs, et qu’il savait, dans le particulier, vivre en homme, aussi bien que représenter en monarque sur le théâtre du monde.

Sa lettre à l’archevêque de Reims, au sujet du marquis de Barbesieux, quoique écrite d’un style extrêmement négligé, fait plus d’honneur à son caractère que les pensées les plus ingénieuses n’en auraient fait à son esprit. Il avait donné à ce jeune homme la place de secrétaire d’État de la guerre, qu’avait eue le marquis de Louvois, son père. Bientôt mécontent de la conduite de son nouveau secrétaire d’État, il veut le corriger sans le trop mortifier. Dans cette vue, il s’adresse à son oncle, l’archevêque de Reims ; il le prie d’avertir son neveu. C’est un maître instruit de tout ; c’est un père qui parle.

« Je sais, dit-il, ce que je dois à la mémoire de M. de Louvois[1] ; mais si votre neveu ne change de conduite, je serai forcé de prendre un parti. J’en serai fâché ; mais il en faudra prendre un. Il a des talents ; mais il n’en fait pas un bon usage. Il donne trop souvent à souper aux princes, au lieu de travailler ; il néglige les affaires pour ses plaisirs ; il fait attendre trop longtemps les officiers dans son antichambre ; il leur parle avec hauteur, et quelquefois avec dureté. »

Voilà ce que ma mémoire me fournit de cette lettre, que j’ai vue autrefois en original[2]. Elle fait bien voir que Louis XIV n’était pas gouverné par ses ministres, comme on l’a cru ; et qu’il savait gouverner ses ministres.

Il aimait les louanges, et il est à souhaiter qu’un roi les aime, parce qu’alors il s’efforce de les mériter. Mais Louis XIV ne les recevait pas toujours, quand elles étaient trop fortes. Lorsque notre Académie, qui lui rendait toujours compte des sujets qu’elle

  1. Ces mots démentent bien l’infâme calomnie de La Beaumelle, qui ose dire que « le marquis de Louvois avait craint que Louis XIV ne l’empoisonnât. »

    Au reste, cette lettre doit être encore parmi les manuscrits laissés par M. le garde des sceaux Chauvelin. (Note de Voltaire.) — Ce n’était pas une lettre, mais un mémoire. Il n’est pas dans les six volumes des Œuvres de Louis XIV publiées en 1806. A.-A. Barbier l’ayant trouvé manuscrit dans la bibliothèque du château de Fleury, l’a fait imprimer dans la Revue encyclopédique du mois de novembre 1825. Des exemplaires ont été tirés à part. (B.)

  2. Voici le commencement de la lettre ou plutôt de la note, où il n’est nullement question de Louvois : « Que la vie que son neveu a faite à Fontainebleau n’est pas soutenable ; que le public en a été scandalisé ;… que, s’il ne change du blanc au noir, il n’est pas possible qu’il puisse demeurer dans sa charge ; que je ne pourrais me dispenser de prendre un parti pour le bien de l’État, et même pour me disculper ;… que le bien de l’État marche chez moi devant toutes choses, etc. » (G. A.)