Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa vie[1] Après la mort de son mari, arrivée en 1660, elle fit longtemps solliciter auprès du roi une petite pension de quinze cents livres, dont Scarron avait joui. Enfin, au bout de quelques années, le roi lui en donna une de deux mille, en lui disant : « Madame, je vous ai fait attendre longtemps ; mais vous avez tant d’amis que j’ai voulu avoir seul ce mérite auprès de vous. »

Ce fait m’a été conté par le cardinal de Fleury, qui se plaisait à le rapporter souvent, parce qu’il disait que Louis XIV lui avait fait le même compliment, en lui donnant l’évêché de Fréjus.

Cependant il est prouvé par les lettres mêmes de Mme de Maintenon qu’elle dut à de Mme Montespan ce léger secours qui la tira de la misère. On se ressouvint d’elle quelques années après, lorsqu’il fallut élever en secret le duc du Maine, que le roi avait eu, en 1670, de la marquise de Montespan. Ce ne fut certainement qu’en 1672 qu’elle fut choisie pour présider à cette éducation secrète ; elle dit dans une de ses lettres : « Si les enfants sont au roi, je le veux bien : car je ne me chargerais pas sans scrupule de ceux de Mme de Montespan[2] ; ainsi il faut que le roi me l’ordonne : voilà mon dernier mot. » Mme de Montespan n’avait deux enfants qu’en 1672, le duc du Maine et le comte de Vexin. Les dates des lettres de Mme de Maintenon, de 1670, dans lesquelles elle parle de ces deux enfants, dont l’un n’était

  1. Il est dit, dans les prétendus Mémoires de Maintenon, tome Ier, page 216, qu’elle n’eut longtemps qu’un même lit avec la célèbre Ninon Lenclos, sur le ouï-dire de l’abbé de Châteauneuf et de l’auteur du Siècle de Louis XIV. Mais il ne se trouve pas un mot de cette anecdote chez l’auteur du Siècle de Louis XIV, ni dans tout ce qui nous reste de M. l’abbé de Châteauneuf. L’auteur des Mémoires de Maintenon ne cite jamais qu’au hasard. Ce fait n’est rapporté que dans les Mémoires du marquis de La Fare, page 190, édition de Rotterdam. C’était encore la mode de partager son lit avec ses amis ; et cette mode, qui ne subsiste plus, était très-ancienne, même à la cour. On voit dans l’Histoire de France que Charles IX, pour sauver le comte de La Rochefoucauld des massacres de la Saint-Barthélemy, lui proposa de coucher au Louvre dans son lit, et que le duc de Guise et le prince de Condé avaient longtemps couché ensemble. (Note de Voltaire.) — C’est dans un morceau Sur Ninon de Lenclos publié en 1751 (voyez Mélanges, à cette date), que Voltaire dit que Ninon et Mlle d’Aubigné couchèrent ensemble quelques mois de suite. Dans une note du chant II de la Henriade, il est question de la proposition de Charles IX au comte de La Rochefoucauld. Voltaire en reparle encore dans son Essai sur les Guerres civiles, imprimé dans le tome VIII, à la suite de la Henriade.
  2. On peut, par vanité, ne point vouloir être gouvernante des enfants d’un particulier, et consentir à élever ceux d’un roi ; mais le mot de scrupule est absurde ; il ne peut rien y avoir de contraire aux principes de la morale à se charger de l’éducation d’un enfant quel qu’il soit. Le bâtard d’un roi et celui d’un particulier sont égaux devant la conscience. Cette lettre prouve que, même avant d’être à la cour Mme de Maintenon savait parler la langage de l’hypocrisie. (K.)