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Tout ce qu’Innocent XI put faire fut de se servir, contre le marquis de Lavardin, des armes usées de l’excommunication : armes dont on ne fait pas même plus de cas à Rome qu’ailleurs, mais qu’on ne laisse pas d’employer comme une ancienne formule, ainsi que les soldats du pape sont armés seulement pour la forme.

Le cardinal d’Estrées, homme d’esprit, mais négociateur souvent malheureux, était alors chargé des affaires de France à Rome. D’Estrées, ayant été obligé de voir souvent le marquis de Lavardin, ne put être ensuite admis à l’audience du pape sans recevoir l’absolution ; en vain il s’en défendit, Innocent XI s’obstina à la lui donner, pour conserver toujours cette autorité imaginaire par les usages sur lesquels elle est fondée.

Louis, avec la même hauteur, mais toujours soutenu par les souterrains de la politique, voulut donner un électeur à Cologne. Occupé du soin de diviser ou de combattre l’empire, il prétendait élever à cet électorat le cardinal de Furstenberg, évêque de Strasbourg, sa créature et la victime de ses intérêts, ennemi irréconciliable de l’empereur, qui l’avait fait emprisonner dans la dernière guerre comme un Allemand vendu à la France.

Le chapitre de Cologne, comme tous les autres chapitres d’Allemagne, a le droit de nommer son évêque, qui par là devient électeur. Celui qui remplissait ce siège était Ferdinand de Bavière, autrefois l’allié, et depuis l’ennemi du roi, comme tant d’autres princes. Il était malade à l’extrémité. L’argent du roi, répandu à propos parmi les chanoines, les intrigues et les promesses, firent élire le cardinal de Furstenberg comme coadjuteur ; et après la mort du prince, il fut élu une seconde fois par la pluralité des suffrages. Le pape, par le concordat germanique, a le droit de conférer l’évêché à l’élu, et l’empereur a celui de confirmer à l’électorat. L’empereur et le pape Innocent XI, persuadés que c’était presque la même chose de laisser Furstenberg sur ce trône électoral et d’y mettre Louis XIV, s’unirent pour donner cette principauté au jeune Bavière[1], frère du dernier mort. (Octobre 1688) Le roi se vengea du pape en lui ôtant Avignon, et prépara la guerre à l’empereur. Il inquiétait en même temps l’électeur palatin au sujet des droits de la princesse palatine, Madame, seconde femme de Monsieur : droits auxquels elle avait renoncé par son contrat de mariage. La guerre faite à l’Espagne, en 1667, pour les droits de Marie-Thérèse malgré une pareille renonciation, prouve bien que les contrats sont faits pour les particuliers.

  1. Joseph Clément ; voyez les Annales de l’Empire, tome XIII, page 210.