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encore de pouvoir sur les esprits. Il rapporte qu’en Bourgogne le doyen de la Sainte-Chapelle, attaché au prince de Condé, offrit pour tout secours de faire parler en sa faveur tous les prédicateurs en chaire, et de faire manœuvrer tous les prêtres dans la confession.

Pour mieux faire connaître encore les mœurs du temps, il dit que lorsque la femme du grand Condé alla se réfugier dans Bordeaux, les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld allèrent au-devant d’elle à la tête d’une foule de jeunes gentilshommes qui crièrent à ses oreilles : Vive Condé ! ajoutant un mot obscène pour Mazarin, et la priant de joindre sa voix aux leurs.

(13 février 1651) Un an après, les mêmes Frondeurs qui avaient vendu le grand Condé et les princes à la vengeance timide de Mazarin forcèrent la reine à ouvrir leurs prisons, et à chasser du royaume son premier ministre. Mazarin alla lui-même au Havre, où ils étaient détenus ; il leur rendit leur liberté, et ne fut reçu d’eux qu’avec le mépris qu’il en devait attendre ; après quoi il se retira à Liège. Condé revint dans Paris aux acclamations de ce même peuple qui l’avait tant haï. Sa présence renouvela les cabales, les dissensions et les meurtres.

Le royaume resta dans cette combustion encore quelques années. Le gouvernement ne prit presque jamais que des partis faibles et incertains : il semblait devoir succomber ; mais les révoltés furent toujours désunis, et c’est ce qui sauva la cour. Le coadjuteur, tantôt ami, tantôt ennemi du prince de Condé, suscita contre lui une partie du parlement et du peuple ; il osa en même temps servir la reine, en tenant tête à ce prince, et l’outrager, en la forçant d’éloigner le cardinal Mazarin, qui se retira à Cologne. La reine, par une contradiction trop ordinaire aux gouvernements faibles, fut obligée de recevoir à la fois ses services et ses offenses, et de nommer au cardinalat ce même coadjuteur, l’auteur des barricades, qui avait contraint la famille royale à sortir de la capitale et à l’assiéger.