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ANNALES DE L’EMPIRE.

cher et Valther Fürst[1]. La difficulté de prononcer des noms si respectables nuit à leur célébrité. Ces trois paysans, hommes de sens et de résolution, furent les premiers conjurés. Chacun d’eux en attira trois autres. Ces neuf gagnèrent les cantons d’Uri, Schvitz, et Undervald.

Tous les historiens prétendent que, tandis que la conspiration se tramait, un gouverneur d’Uri, nommé Grisler[2], s’avisa d’un genre de tyrannie ridicule et horrible. Il fit mettre, dit-on, un de ses bonnets au haut d’une perche dans la place, et ordonna qu’on saluât le bonnet, sous peine de la vie. Un des conjurés, nommé Guillaume Tell, ne salua point le bonnet. Le gouverneur le condamna à être pendu, et ne lui donna sa grâce qu’à condition que le coupable, qui passait pour archer adroit, abattrait d’un coup de flèche une pomme placée sur la tête de son fils. Le père, tremblant, tira, et fut assez heureux pour abattre la pomme. Grisler, apercevant une seconde flèche sous l’habit de Tell, demanda ce qu’il en prétendait faire. « Elle t’était destinée, dit le Suisse, si j’avais blessé mon fils. »

Avouons que toutes ces histoires de pommes sont bien suspectes : celle-ci l’est d’autant plus qu’elle semble tirée d’une ancienne fable danoise. Mais enfin on tient pour constant que Tell, ayant été mis aux fers, tua ensuite le gouverneur d’une flèche ; que ce fut le signal des conjurés ; que les peuples se saisirent des forteresses, et démolirent ces instruments de leur esclavage. Voyez l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[3].

1308. Albert, prêt de commettre ses forces contre ce courage que donne l’enthousiasme d’une liberté naissante, perd la vie d’une manière funeste. Son propre neveu Jean, qu’on a appelé mal à propos duc de Souabe, qui ne pouvait obtenir de lui la jouissance de son patrimoine, conspire sa mort avec quelques complices. Il lui porta lui-même le dernier coup en se promenant avec lui auprès de Rheinsfeld, sur le bord de la rivière de Heuss, dans le voisinage de la Suisse[4]. Peu de souverains ont péri d’une mort plus tragique, et nul n’a été moins regretté. Il est

  1. Ce fut le 17 novembre 1307, dans un lieu solitaire, nommé le Grütli, que Arnold an der halden, de Melchthal, Werner Stauffacher, de Schwitz, et Walther Fürst, d’Attinghausen, firent leur fameux serment. Le Grütli est situé à deux lieues d’Altdorf, sur la rive gauche du lac de Lucerne. (Cl.)
  2. Dans l’Essai, le nom de Gessler est écrit exactement.
  3. Tome XI, page 520.
  4. Albert Ier fut assassiné, le 1er mai 1308, près de Windisch, vers l’endroit où la Reuss se jette dans l’Aar, à plus de sept lieues de Rheinsfeld. (Cl.)