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CHAPITRE CLXXIII.

nats, des emprisonnements sans forme et sans raison, pires que les troubles qui en étaient cause. On ne voyait pas tomber sur les échafauds autant de têtes considérables qu’en Angleterre[1], mais il y avait plus de meurtres secrets, et on commençait à connaître le poison.

Cependant, quand les ambassadeurs de Pologne vinrent à Paris rendre hommage à Henri III, on leur donna la fête la plus brillante et la plus ingénieuse. Le naturel et les grâces de la nation perçaient encore à travers tant de calamités et de fureurs. Seize dames de la cour, représentant les seize principales provinces de France, ayant dansé un ballet accompagné de machines, présentèrent au roi de Pologne et aux ambassadeurs des médailles d’or, sur lesquelles on avait gravé les productions qui caractérisaient chaque province.

(1574) À peine Henri III est-il transplanté sur le trône de Pologne que Charles IX meurt à l’âge de vingt-quatre ans et un mois. Il avait rendu son nom odieux à toute la terre, dans un âge où les citoyens de sa capitale ne sont pas encore majeurs. La maladie qui l’emporta est très-rare ; son sang coulait par tous les pores : cet accident, dont il y a quelques exemples, est la suite ou d’une crainte excessive, ou d’une passion furieuse, ou d’un tempérament violent et atrabilaire ; il passa dans l’esprit des peuples, et surtout des protestants, pour l’effet de la vengeance divine. Opinion utile, si elle pouvait arrêter les attentats de ceux qui sont assez puissants et assez malheureux pour n’être pas soumis au frein des lois !

Dès que Henri III apprend la mort de son frère, il s’évade de Pologne, comme on s’enfuit de prison. Il aurait pu engager le sénat de Pologne à souffrir qu’il se partageât entre ce royaume et ses pays héréditaires, comme il y en a eu tant d’exemples ; mais il s’empressa de fuir de ce pays sauvage pour aller chercher, dans sa patrie, des malheurs et une mort non moins funeste que tout ce qu’on avait vu jusqu’alors en France.

Il quittait un pays où les mœurs étaient dures, mais simples, et où l’ignorance et la pauvreté rendaient la vie triste, mais exempte de grands crimes. La cour de France était, au contraire, un mélange de luxe, d’intrigues, de galanteries, de débauches, de complots, de superstition, et d’athéisme. Catherine de Médicis, nièce du pape Clément VII, avait introduit la vénalité de presque toutes les charges de la cour, telle qu’elle était à celle du pape.

  1. Voyez chapitre clxvii, à la fin.