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DE LA THÉOCRATIE.

imberbes. Voilà donc deux races d’hommes absolument différentes à côté l’une de l’autre, supposé qu’en effet les Esquimaux soient barbus. Mais de nouveaux voyageurs disent que les Esquimaux sont imberbes, que nous avons pris leurs cheveux crasseux pour de la barbe. À qui croire[1] ?

Vers l’isthme de Panama est la race des Dariens, presque semblable aux Albinos, qui fuit la lumière et qui végète dans les cavernes, race faible, et par conséquent en très-petit nombre.

Les lions de l’Amérique sont chétifs et poltrons[2] ; les animaux qui ont de la laine y sont grands, et si vigoureux qu’ils servent à porter les fardeaux. Tous les fleuves sont dix fois au moins plus larges que les nôtres. Enfin les productions naturelles de cette terre ne sont pas celles de notre hémisphère. Ainsi tout est varié ; et la même providence qui a produit l’éléphant, le rhinocéros, et les Nègres, a fait naître dans un autre monde des orignaux, des condors, des animaux à qui on a cru longtemps le nombril sur le dos, et des hommes d’un caractère qui n’est pas le nôtre.

ix. — De la théocratie.

Il semble que la plupart des anciennes nations aient été gouvernées par une espèce de théocratie. Commencez par l’Inde, vous y voyez les brames longtemps souverains ; en Perse, les mages ont la plus grande autorité. L’histoire des oreilles de Smerdis peut bien être une fable ; mais il en résulte toujours que c’était un mage qui était sur le trône de Cyrus. Plusieurs prêtres d’Égypte prescrivaient aux rois jusqu’à la mesure de leur boire et de leur manger, élevaient leur enfance, et les jugeaient après leur mort, et souvent se faisaient rois eux-mêmes.

Si nous descendons aux Grecs, leur histoire, toute fabuleuse qu’elle est, ne nous apprend-elle pas que le prophète Calchas

  1. Il paraît qu’il existe réellement en Amérique une petite peuplade d’hommes barbus. Mais les Islandais avaient navigué en Amérique longtemps avant Christophe Colomb, et il est possible que cette peuplade d’hommes barbus soit un reste de ces navigateurs européans.

    Carver, qui a voyagé dans le nord de Amérique pendant les années 1766, 1767, 1768, prétend, dans son ouvrage imprimé en 1778, que les sauvages de l’Amérique ne sont imberbes que parce qu’ils s’épilent. Voyez Carver’s Travel, page 224 ; l’auteur parle comme témoin oculaire. (K.) — Voyez aussi la note de Voltaire lui-même sur le chapitre CLI.

  2. Il n’y a pas, à bien dire, de lions en Amérique ; mais on qualifie le puma de lion d’Amérique. (G.A.)