Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
LE BOURBIER.

Retenez bien qu’illec est son manoir.
Là ses consorts ont leurs têtes ornées
De quelques fleurs presque en naissant fanées,
D’un sol aride incultes nourrissons,
Et digne prix de leurs maigres chansons.
Cettui pays n’est pays de Cocagne.
Il est enfin, au pied de la montagne,
Un bourbier noir, d’infecte profondeur,
Qui fait sentir très-malplaisante odeur
À tout chacun, fors à la troupe impure
Qui va nageant dans ce fleuve d’ordure.
Et qui sont-ils ces rimeurs diffamés ?
Pas ne prétends que par moi soient nommés.
Mais quand verrez chansonniers, faiseurs d’odes,
Rognes corneurs de leurs vers incommodes,
Peintres, abbés, brocanteurs, jetonniers,
D’un vil café superbes casaniers,
Où tous les jours, contre Rome et la Grèce,
De maldisants se tient bureau d’adresse,
Direz alors, en voyant tel gibier :
« Ceci paraît citoyen du bourbier. »
De ces grimauds la croupissante race
En cettui lac incessamment coasse
Contre tous ceux qui, d’un vol assuré,
Sont parvenus au haut du mont sacré.
En ce seul point cettui peuple s’accorde.
Et va cherchant la fange la plus orde
Pour en noircir les menins d’Hélicon,
Et polluer le trône d’Apollon.
C’est vainement ; car cet impur nuage
Que contre Homère, en son aveugle rage,
La gent moderne assemblait avec art,
Est retombé sur le poëte Houdart :
Houdart, ami de la troupe aquatique,
Et de leurs vers approbateur unique,
Comme est aussi le tiers état auteur
Dudit Houdart unique admirateur ;
Houdart enfin, qui, dans un coin du Pinde,
Loin du sommet où Pindare se guinde,
Non loin du lac est assis, ce dit-on,
Tout au-dessus de l’abbé Terrasson.