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Ne saurait offenser les dieux.
Filons, si vous voulez m’en croire ;
Et, pour égayer nos travaux,
Que chacune conte une histoire
En faisant tourner ses fuseaux. »
Les deux cadettes approuvèrent
Ce propos tout plein de raison.
Et leur sœur, qu’elles écoutèrent,
Commença de cette façon :


« Le travail est mon dieu, lui seul régit le monde ;
Il est l’âme de tout : c’est en vain qu’on nous dit
Que les dieux sont à table ou dorment dans leur lit.
J’interroge les cieux, l’air, et la terre, et l’onde :
Le puissant Jupiter fait son tour en dix ans[1],
Son vieux père Saturne avance à pas plus lents,
Mais il termine enfin son immense carrière ;
Et dès qu’elle est finie, il recommence encor.
« Sur son char de rubis, mêlés d’azur et d’or,
Apollon va lançant des torrents de lumière.
Quand il quitta les cieux, il se fit médecin,
Architecte, berger, ménétrier, devin ;
Il travailla toujours. Sa sœur l’aventurière
Est Hécate aux enfers, Diane dans les bois,
Lune pendant les nuits, et remplit trois emplois.
« Neptune chaque jour est occupé six heures
À soulever des eaux les profondes demeures,
Et les fait dans leur lit retomber par leur poids.
« Vulcain, noir et crasseux, courbé sur son enclume,
Forge à coups de marteau les foudres qu’il allume.
« On m’a conté qu’un jour, croyant le bien payer,
Jupiter à Vénus daigna le marier.
Ce Jupiter, mes sœurs, était grand adultère ;
Vénus l’imita bien : chacun tient de son père.
Mars plut à la friponne ; il était colonel,
Vigoureux, impudent, s’il en fut dans le ciel,
Talons rouges, nez haut, tous les talents de plaire ;

  1. Dix ans est une erreur inconcevable de la part de Voltaire, qui, non-seulement dans ses Éléments de la philosophie de Newton, troisième partie, chapitre xii, avait dit que la révolution de Jupiter est de près de douze ans ; mais qui, dans le quatrième de ses Discours sur l’Homme, avait employé le terme de douze ans. (B.)