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Sont des fripons rampants[1] qu’un aga fait trembler.
Ainsi, dans la cité d’Horace et de Scévole,
On voit des récollets aux murs du Capitole ;
Ainsi, cette Circé, qui savait dans son temps
Disposer de la lune et des quatre éléments,
Gourmandant la nature au gré de son caprice,
Changeait en chiens barbets les compagnons d’Ulysse.
Tu changeras les Grecs en guerriers généreux ;
Ton esprit à la fin se répandra sur eux.
Ce n’est point le climat qui fait ce que nous sommes.
Pierre était créateur, il a formé des hommes.
Tu formes des héros… Ce sont les souverains
Qui font le caractère et les mœurs des humains.
Un grand homme du temps a dit dans un beau livre :
"Quand Auguste buvait, la Pologne était ivre[2]."
Ce grand homme a raison : les exemples d’un roi
Feraient oublier Dieu, la nature, et la loi.
Si le prince est un sot, le peuple est sans génie.
Qu’un vieux sultan s’endorme avec ignominie
Dans les bras de l’orgueil et d’un repos fatal,
Ses bachas assoupis le serviront fort mal.
Mais Catherine veille au milieu des conquêtes ;
Tous ses jours sont marqués de combats et de fêtes :
Elle donne le bal, elle dicte des lois,
De ses braves soldats dirige les exploits,
Par les mains des beaux-arts enrichit son empire,
Travaille jour et nuit, et daigne encor m’écrire ;
Tandis que Moustapha, caché dans son palais,
Bâille, n’a rien à faire, et ne m’écrit jamais.
Si quelque chiaoux lui dit que Sa Hautesse
A perdu cent vaisseaux dans les mers de la Grèce,
Que son vizir battu s’enfuit très à propos,
Qu’on lui prend la Dacie, et Nimphée, et Colchos,

  1. Ceci ne doit pas s’entendre de tous les Grecs, mais de ceux qui n’ont pas secondé les Russes comme ils devaient. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. Ce vers cité est du roi de Prusse : il est dans une épître à son frère.
    Lorsque Auguste buvait, la Pologne était ivre ;
    Lorsque le grand Louis brûlait d’un tendre amour,
    Paris devint Cythère, et tout suivit la cour :
    Quand il se fit dévot, ardent à la prière,
    Le lâche courtisan marmotta son bréviaire.
    (Id., 1771.)