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Les livres ont tout fait ; et, quoi qu’on puisse dire,
Rois, vous n’avez régné que lorsqu’on a su lire.
Soyez reconnaissants, aimez les bons auteurs :
Il ne faut pas du moins vexer vos bienfaiteurs.
Et comptez-vous pour rien les plaisirs qu’ils vous donnent,
Plaisirs purs que jamais les remords n’empoisonnent ?
Les pleurs de Melpomène et les ris de sa sœur
N’ont-ils jamais guéri votre mauvaise humeur ?
Souvent un roi s’ennuie : il se fait lire à table
De Charle ou de Louis l’histoire véritable.
Si l’auteur fut gêné par un censeur bigot,
Ne décidez-vous pas que l’auteur est un sot ?
Il faut qu’il soit à l’aise ; il faut que l’aigle altière
Des airs à son plaisir franchisse la carrière.
Je ne plains point un bœuf au joug accoutumé ;
C’est pour baisser son cou que le ciel l’a formé.
Au cheval qui vous porte un mors est nécessaire.
Un moine est de ses fers esclave volontaire.
Mais au mortel qui pense on doit la liberté.
Des neuf savantes Sœurs le Parnasse habité
Serait-il un couvent sous une mère abbesse,
Qu’un évêque bénit, et qu’un Grisel confesse ?
On ne leur dit jamais : « Gardez-vous bien, ma sœur,
De vous mettre à penser sans votre directeur ;
Et quand vous écrirez sur l’Almanach de Liège,
Ne parlez des saisons qu’avec un privilège. »
Que dirait Uranie à ces plaisants propos ?
Le Parnasse ne veut ni tyrans ni bigots :
C’est une république éternelle et suprême,
Qui n’admet d’autre loi que la loi de Thélême[1] ;
Elle est plus libre encor que le vaillant Bernois,
Le noble de Venise, et l’esprit genevois ;
Du bout du monde à l’autre elle étend son empire ;
Parmi ses citoyens chacun voudrait s’inscrire.
Chez nos Sœurs, ô grand roi ! le droit d’égalité,
Ridicule à la cour, est toujours respecté.
Mais leur gouvernement, à tant d’autres contraire.
Ressemble encore au tien, puisqu’à tous il sait plaire.

  1. Abbaye de la fondation de Rabelais (Gargantua, liv. I, c. lvii. On avait gravé sur la porte : Fay ce que vouldras. (Note de Voltaire, 1771.)