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S’il n’est pas de l’avis de monsieur Ribalier.
Hélas ! dans un État l’art de l’imprimerie
Ne fut en aucun temps fatal à la patrie.
Les pointes de Voiture[1], et l’orgueil des grands mots
Que prodigua Balzac assez mal à propos,
Les romans de Scarron, n’ont point troublé le monde ;
Chapelain ne fit point la guerre de la Fronde.
Chez le Sarmate altier la Discorde en fureur[2],
Sous un roi sage et doux, semant partout l’horreur ;
De l’empire ottoman la splendeur éclipsée,
Sous l’aigle de Moscou sa force terrassée,
Tous ces grands mouvements seraient-ils donc l’effet
D’un obscur commentaire[3] ou d’un méchant sonnet ?
Non, lorsqu’aux factions un peuple entier se livre,
Quand nous nous égorgeons, ce n’est pas pour un livre.
Hé ! quel mal après tout peut faire un pauvre auteur ?
Ruiner son libraire, excéder son lecteur,
Faire siffler partout sa charlatanerie,
Ses creuses visions[4], sa folle théorie.
Un livre est-il mauvais, rien ne peut l’excuser ;
Est-il bon, tous les rois ne peuvent l’écraser.
On le supprime à Rome, et dans Londre on l’admire ;
Le pape le proscrit, l’Europe le veut lire.
Un certain charlatan, qui s’est mis en crédit,
Prétend qu’à son exemple on n’ait jamais d’esprit.
Tu n’y parviendras pas, apostat d’Hippocrate ;

    ainsi : « Hæ propositiones in quarum una Belisarius asserit… et in quarum altera cum Justinianus Belisario stupens dixisset… idem Belisarius respondet, etc. » (B.)

  1. Voiture, qui fut frivole, et qui ne chercha que le bel esprit ; Balzac, qui fut toujours ampoulé, et qui ne dit presque jamais rien d’utile, eurent une très-grande réputation dans leur temps ; Chapelain en eut encore davantage : ils étaient les rois de la littérature. Les querelles dont ils furent l’objet ne servirent qu’à faire naître enfin le bon goût, et ne causèrent d’ailleurs aucun mal. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. Ce sera aux yeux de la postérité un événement unique, même en Pologne qu’une guerre civile si acharnée et si cruelle, sous un roi auquel la faction opposée n’a jamais pu reprocher la moindre contravention aux lois, le plus léger abus de l’autorité, ni même la moindre action qui pût déplaire dans un particulier. C’est pour la première fois qu’on a vu un roi se borner à plaindre ceux qui se rendaient malheureux eux-mêmes en ravageant leur patrie. Il ne leur a donné que l’exemple de la modération. (Id., 1771.)
  3. Variante :
    Ou d’un lourd commentaire.
  4. Variante :
    Ses faux raisonnements.