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Font passer quelquefois dans mes humbles retraites
Des bontés dont la Suisse embellit ses gazettes.
Avec Ganganelli je ne suis pas si bien :
Sur mon voyage en Prusse, il m’a cru peu chrétien.
Ce pape s’est trompé, bien qu’il soit infaillible.
Mais, sans examiner ce qu’on doit à la Bible,
S’il vaut mieux dans ce monde être pape que roi,
S’il est encor plus doux d’être obscur comme moi,
Des déserts du Jura ma tranquille vieillesse
Ose se faire entendre à ta sage jeunesse ;
Et libre avec respect, hardi sans être vain,
Je me jette à tes pieds, au nom du genre humain.
Il parle par ma voix, il bénit ta clémence ;
Tu rends ses droits à l’homme, et tu permets qu’on pense.
Sermons, romans, physique, ode, histoire, opéra,
Chacun peut tout écrire ; et siffle qui voudra !
Ailleurs on a coupé les ailes à Pégase.
Dans Paris quelquefois un commis à la phrase
Me dit : « À mon bureau venez vous adresser ;
Sans l’agrément du roi vous ne pouvez penser[1].
Pour avoir de l’esprit, allez à la police ;
Les filles y vont bien, sans qu’aucune en rougisse :
Leur métier vaut le vôtre, il est cent fois plus doux ;
Et le public sensé leur doit bien plus qu’à vous. »
C’est donc ainsi, grand roi, qu’on traite le Parnasse,
Et les suivants honnis de Plutarque et d’Horace !
Bélisaire à Paris ne peut rien publier[2]

  1. Variante :
    Il vous faut un brevet si vous voulez penser.
  2. Le chapitre quinzième du roman moral de Bélisaire passa en général pour un des meilleurs morceaux de littérature, de philosophie, et de vraie piété, qui aient jamais été écrits dans la langue française. Son succès universel irrita un principal de collège, docteur de Sorbonne, nommé Ribalier, qui, avec un autre régent de collège, nommé Coger, souleva une grande partie de la Sorbonne contre M. Marmontel, auteur de cet ouvrage. Les docteurs cherchèrent pendant six mois entiers des propositions malsonnantes, téméraires, sentant l’hérésie. Il fallut bien qu’ils en trouvassent. On en trouverait dans le Pater noster, en transposant un mot, et en abusant d’un autre.

    La faculté fit enfin imprimer sa censure en latin comme en français, et elle commençait par un solécisme. Le public en rit, et bientôt on n’en parla plus. (Note de Voltaire, 1771.)


    — C’était le docteur de Sorbonne Tampon et qui se faisait fort de trouver une foule d’hérésies dans le Pater noster.


    La censure du Bélisaire de Marmontel, par la faculté de théologie, commence