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Qui des humains jadis ont adouci les mœurs ;
Tout entier aux beaux-arts, il a fui les honneurs ;
Et sans ambition, caché dans sa famille,
Il n’a voulu donner pour époux à sa fille
Qu’un mortel comme lui favorisé des dieux,
Cultivant tous les arts, et qui saurait le mieux
En vers nobles et doux élégamment décrire,
Animer sur la toile, et chanter sur la lyre
Ce peu de vains attraits que m’ont donné les cieux.
Lygdamon m’adorait. Son esprit sans culture
Devait, je l’avouerai, beaucoup à la nature :
Ingénieux, discret, poli sans compliment ;
Parlant avec justesse, et jamais savamment ;
Sans talents, il est vrai, mais sachant s’y connaître ;
L’Amour forma son cœur, les Grâces son esprit.
Il ne savait qu’aimer ; mais qu’il était grand maître
Dans ce premier des arts que lui seul il m’apprit !
Quand mon père eut formé le dessein tyrannique
De m’arracher l’objet de mon cœur amoureux,
Et de me réserver pour quelque peintre heureux
Qui ferait de bons vers, et saurait la musique,
Que de larmes alors coulèrent de mes yeux !
Nos parents ont sur nous un pouvoir despotique ;
Puisqu’ils nous ont fait naître, ils sont pour nous des dieux.
Je mourais, il est vrai, mais je mourais soumise.
Lygdamon s’écarta, confus, désespéré,
Cherchant loin de mes yeux un asile ignoré.
Six mois furent le terme où ma main fut promise :
Ce délai fut fixé pour tous les prétendants.
Ils n’avaient tous, hélas ! dans leurs tristes talents,
À peindre que l’ennui, la douleur, et les larmes.
Le temps qui s’avançait redoublait mes alarmes.
Lygdamon tant aimé me fuyait pour toujours :
J’attendais mon arrêt, et j’étais au concours.
Enfin de vingt rivaux les ouvrages parurent :
Sur leurs perfections mille débats s’émurent.
Je ne pus décider, je ne les voyais pas.
Mon père se hâta d’accorder son suffrage
Aux talents trop vantés du fier et dur Harpage :
On lui promit ma foi, j’allais être en ses bras.
Un esclave empressé frappe, arrive à grands pas,
Apportant un tableau d’une main inconnue.