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Tranche ses jours, échappés à Bellone,
Au sein des murs délivrés par son bras.
Mais quelle voix assez forte, assez tendre,
Saura gémir sur l’honorable cendre
De ces héros que Mars priva du jour,
Aux yeux d’un roi, leur père et leur amour ?
Ô vous surtout, infortuné Bavière,
Jeune Froulay, si digne de nos pleurs,
Qui chantera votre vertu guerrière ?
Sur vos tombeaux qui répandra des fleurs ?
Anges des cieux, puissances immortelles,
Qui présidez à nos jours passagers,
Sauvez Lautrec au milieu des dangers :
Mettez Ségur à l’ombre de vos ailes ;
Déjà Rocoux vit déchirer son flanc.
Ayez pitié de cet âge si tendre ;
Ne versez pas le reste de ce sang
Que pour Louis il brûle de répandre[1].
De cent guerriers couronnez les beaux jours :
Ne frappez pas Bonac et d’Aubeterre,
Plus accablés sous de cruels secours
Que sous les coups des foudres de la guerre.
Mais, me dit-on, faut-il à tout propos
Donner en vers des listes de héros ?
Sachez qu’en vain l’amour de la patrie
Dicte vos vers au vrai seul consacrés :
On flatte peu ceux qu’on a célébrés ;
On déplaît fort à tous ceux qu’on oublie.
Ainsi toujours le danger suit mes pas ;
Il faut livrer presque autant de combats
Qu’en a causé sur l’onde et sur la terre
Cette balance utile à l’Angleterre.
Cessez, cessez, digne sang de Bourbon,
De ranimer mon timide Apollon,
Et laissez-moi tout entier à l’histoire ;
C’est là qu’on peut, sans génie et sans art,
Suivre Louis de l’Escaut jusqu’au Jart.
Je dirai tout, car tout est à sa gloire.
Il fait la mienne, et je me garde bien

  1. M. le marquis de Ségur, ministre de la guerre en 1780 : il avait été dangereusement blessé à Rocoux et perdit un bras à la bataille de Lawfelt. (K.)