Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, sans les mesurer, juge d’eux par le cœur[1].
Ainsi pense le juste, ainsi règne le sage.
Mais il faut au grand homme un plus heureux partage :
Consulter la prudence, et suivre l’équité,
Ce n’est encor qu’un pas vers l’immortalité.
Qui n’est que juste est dur ; qui n’est que sage est triste :
Dans d’autres sentiments l’héroïsme consiste.
Le conquérant est craint, le sage est estimé ;
Mais le bienfaisant charme, et lui seul est aimé ;
Lui seul est vraiment roi ; sa gloire est toujours pure ;
Son nom parvient sans tache à la race future.
À qui se fait chérir faut-il d’autres exploits ?
Trajan, non loin du Gange, enchaîna trente rois :
À peine a-t-il un nom fameux par la victoire :
Connu par ses bienfaits, sa bonté fait sa gloire.
Jérusalem conquise, et ses murs abattus,
N’ont point éternisé le grand nom de Titus ;
Il fut aimé : voilà sa grandeur véritable.
Ô vous qui l’imitez, vous, son rival aimable,
Effacez le héros dont vous suivez les pas :
Titus perdit un jour, et vous n’en perdrez pas.



  1. Variante :
    Et, sans les mesurer, juge d’eux par le cœur.
    Il est héros en tout, puisqu’en tout il est juste ;
    Il sait qu’aux yeux du sage on a ce titre auguste
    Par des soins bienfaisants plus que par des exploits.
    Trajan, etc.