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Qu’il avait plus d’argent que n’en eut Salomon
Sur son terrain pierreux du torrent de Cédron.
Alamon (c’est le nom de ce prince imbécile)
Avalait cet encens, et lourdement tranquille,
Entouré de bouffons et d’insipides jeux,
Quand il avait dîné croyait son peuple heureux.
Il restait à la cour un brave militaire,
Émon, vieux serviteur du feu prince son père,
Qui, n’étant point payé, lui parlait librement,
Et prédisait malheur à son gouvernement.
Les ministres jaloux, qui bientôt le craignirent,
De ce pauvre honnête homme aisément se défirent.
Émon fut exilé, le maître n’en sut rien.
Le vieillard, confiné dans une métairie,
Cultivait sagement ses amis et son bien,
Et pleurait à la fois son maître et sa patrie.
Alamon loin de lui laissait couler sa vie
Dans l’insipidité de ses molles langueurs.
Des sots Bénéventins quelquefois les clameurs
Frappaient pour un moment son âme appesantie.
Ce bruit sourd et lointain, qu’avec peine il entend,
S’affaiblit dans sa course, et meurt en arrivant.
Le poids de la misère accablait la province ;
Elle était dans les pleurs, Alamon dans l’ennui :
Les tyrans triomphaient. Dieu prit pitié de lui ;
Il voulut qu’il aimât, pour en faire un bon prince.
Il vit la jeune Amide ; il la vit, l’entendit ;
Il commença de vivre, et son cœur se sentit.
Il était beau, bien fait, et dans l’âge de plaire.
Son confesseur madré découvrit le mystère :
Il en fit un scrupule à son sot pénitent,
D’autant plus timoré qu’il était ignorant :
Et les deux scélérats, qui tremblaient que leur maître
Ne se connût un jour, et vînt à les connaître,
Envoyèrent Amide avec le pauvre Émon.
Elle fit son paquet, et le trempa de larmes.
On n’osait résister. Le timide Alamon,
Vainement attendri, s’arrachait à ses charmes ;
Car son esprit flottant, d’un vain remords touché,
Commençant à s’ouvrir, n’était point débouché.
Comme elle allait partir, on entend : « Bas les armes,
À la fuite, à la mort, combattons, tout périt,