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Lui seul peut s’élever, lui seul peut se détruire.
En vain contre Henri la France a vu longtemps
La calomnie affreuse exciter ses serpents ;
En vain de ses rivaux les fureurs catholiques
Armèrent contre lui des mains apostoliques ;
Et plus d’un monacal et servile écrivain
Vendit, pour l’outrager, sa haine et son venin[1] ;
La gloire de Henri par eux n’est point flétrie :
Leurs noms sont détestés, sa mémoire est chérie.
Nous admirons encor sa valeur, sa bonté ;
Et longtemps dans la France il sera regretté.
Cromwell, d’un joug terrible accablant sa patrie,
Vit bientôt à ses pieds ramper la flatterie ;
Ce monstre politique, au Parnasse adoré,
Teint du sang de son roi, fut aux dieux comparé :
Mais malgré les succès de sa prudente audace,
L’univers indigné démentait le Parnasse,
Et de Waller[2] enfin les écrits les plus beaux
D’un illustre tyran n’ont pu faire un héros.
Louis fit sur son trône asseoir la flatterie ;
Louis fut encensé jusqu’à l’idolâtrie.
En éloges enfin le Parnasse épuisé
Répète ses vertus sur un ton presque usé ;
Et, l’encens à la main, la docte Académie
L’endormit cinquante ans par sa monotonie.
Rien ne nous a séduits : en vain en plus d’un lieu
Cent auteurs indiscrets l’ont traité comme un dieu ;
De quelque nom sacré que l’opéra le nomme,
L’équitable Français ne voit en lui qu’un homme.
Pour élever sa gloire on ne nous verra plus
Dégrader les Césars, abaisser les Titus ;

  1. Variante :
    Vendit pour l’outrager sa haine et son venin.
    Qu’ont produit tous leurs cris ? Sa mémoire sacrée
    Parmi les nations n’est pas moins révérée.
    Nous admirons encor sa valeur, sa bonté ;
    Et sans toi dans la France il serait regretté.
    Louis fit sur son trône, etc.
  2. Waller, poëte anglais, est auteur d’un éloge funèbre de Cromwell, qui passe pour un chef-d’œuvre. Un jour Charles II, à qui Waller venait, suivant l’usage des rois et des poëtes, de présenter une pièce farcie de louanges, lui reprocha qu’il avait fait mieux pour Cromwell. Waller lui répondit : « Sire, nous autres poëtes, nous réussissons mieux dans les fictions que dans les vérités. » (B.)