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Tombe à moitié sur sa cuisse ridée :
Elle fit peur au brave chevalier.
Elle l’accoste ; et, d’un ton familier,
Lui dit : « Mon fils, je vois à votre mine
Que vous avez un chagrin qui vous mine ;
Apprenez-moi vos tribulations :
Nous souffrons tous ; mais parler nous soulage ;
Il est encor des consolations.
J’ai beaucoup vu : le sens vient avec l’âge.
Aux malheureux quelquefois mes avis
Ont fait du bien quand on les a suivis. »
Le chevalier lui dit : « Hélas ! ma bonne,
Je vais cherchant des conseils, mais en vain.
Mon heure arrive, et je dois en personne,
Sans plus attendre, être pendu demain,
Si je ne dis à la reine, à ses femmes,
Sans les fâcher, ce qui plaît tant aux dames, »
La vieille alors lui dit : « Ne craignez rien,
Puisque vers moi le bon Dieu vous envoie ;
Croyez, mon fils, que c’est pour votre bien.
Devers la cour cheminez avec joie :
Allons ensemble, et je vous apprendrai
Ce grand secret de vous tant désiré.
Mais jurez-moi qu’en me devant la vie,
Vous serez juste, et que de vous j’aurai
Ce qui me plaît et qui fait mon envie :
L’ingratitude est un crime odieux.
Faites serment, jurez par mes beaux yeux
Que vous ferez tout ce que je désire. »
Le bon Robert le jura, non sans rire.
« Ne riez point, rien n’est plus sérieux »,
Reprit la vieille ; et les voilà tous deux
Qui, côte à côte, arrivent en présence
De reine Berthe et de la cour de France.
Incontinent le conseil assemblé,
La reine assise, et Robert appelé :
« Je sais, dit-il, votre secret, mesdames.
Ce qui vous plaît en tous lieux, en tous temps,
Ce qui surtout l’emporte dans vos âmes,
N’est pas toujours d’avoir beaucoup d’amants ;
Mais fille, ou femme, ou veuve, ou laide, ou belle,
Ou pauvre, ou riche, ou galante, ou cruelle,