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De Saint-Denis un moine survenant
Monte dessus, et trotte à son couvent.
Enfin Marthon, rajustant sa coiffure,
Dit à Robert : « Où sont mes vingt écus ? »
Le chevalier, tout pantois et confus,
Cherchant en vain sa bourse et sa monture,
Veut s’excuser : nulle excuse ne sert ;
Marthon ne peut digérer son injure,
Et va porter sa plainte à Dagobert.
« Un chevalier, dit-elle, m’a pillée,
Et violée, et surtout point payée. »
Le sage prince à Marthon répondit :
« C’est de viol que je vois qu’il s’agit.
Allez plaider devant ma femme Berthe ;
En tel procès la reine est très-experte :
Bénignement elle vous recevra,
Et sans délai justice se fera. »
Marthon s’incline, et va droit à la reine.
Berthe était douce, affable, accorte, humaine ;
Mais elle avait de la sévérité
Sur le grand point de la pudicité.
Elle assembla son conseil de dévotes.
Le chevalier, sans éperons, sans bottes,
La tête nue, et le regard baissé,
Leur avoua ce qui s’était passé ;
Que vers Charonne il fut tenté du diable,
Qu’il succomba, qu’il se sentait coupable,
Qu’il en avait un très-pieux remord ;
Puis il reçut sa sentence de mort.
Robert était si beau, si plein de charmes,
Si bien tourné, si frais, et si vermeil,
Qu’en le jugeant la reine et son conseil
Lorgnaient Robert, et répandaient des larmes.
Marthon de loin dans un coin soupira ;
Dans tous les cœurs la pitié trouva place.
Berthe au conseil alors remémora
Qu’au chevalier on pouvait faire grâce,
Et qu’il vivrait pour peu qu’il eût d’esprit :
« Car vous savez que notre loi prescrit
De pardonner à qui pourra nous dire
Ce que la femme en tous les temps désire ;
Bien entendu qu’il explique le cas