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LA TACTIOUE. 193

Souffrez donc qu'un soldat prenne au moins la défense^ D'un art qui fit longtemps la grandeur de la France, Et qui des citoyens assure le repos. »

Monsieur (luibert se tut après ce long propos : Moi, je me tus aussi, n'ayant rien à redire. De la droite raison je sentis tout l'empire; Je conçus que la guerre est le premier des arts, Et que le peintre heureux des Bourbons, des Bayards-, En dictant leurs leçons, était digne peut-être De commander déjà dans l'art dont il est maître.

Mais je vous l'avouerai, je formai des souhaits Pour que ce heau métier ne s'exerçât jamais, Et qu'enfin l'équité fît régner sur la terre L'impraticable paix de l'abbé de Saint-Pierre ^

��1. Variante :

Souffrez donc, s'il vous plaît, qu'on prenne la défense.

2. M. Guibert a fait une tragédie du Connétable de Bourbon, dans laquelle le chevalier Bayard dit des choses admirables. (Note de Voltaire, 1775.)

3. L'idée d'une paix perpétuelle entre tous les hommes est plus cliimérique sans doute que le projet d'une langue universelle. Il est trop vrai que la guerre est un fléau contradictoire avec la nature humaine et avec presque toutes les religions, et cependant un fléau aussi ancien que cette nature humaine, et antérieur à toute religion. Il est aussi difficile d'empêcher les hommes de se faire la guerre que d'empêcher les loups de manger des moutons.

La guerre est quelque chose de si exécrable, que plus nos nations l.)arbares qui sont venues envahir, ensanglanter, ravager toute notre Europe, se sont un peu policées, plus elles ont adouci les horreurs que la guerre traînait après elle.

Ce n'est point assurément l'ouvrage immense de Grotius, sur' le droit prétendu de la guerre et de la paix, qui a rendu les hommes moins féroces ; ce no sont point ses citations de Carnéade, de Quintilien, de Porphire, d'Aristote, de Juvénal, et du Pentateuque: ce n'est point parce qu'après le déluge il fut défendu de manger les animaux avec leur âme et leur sang, comme le rapporte Barheirac son commen- tateur; ce n'est point, en un mot, par tous les arguments profondément frivoles de Grotius et de Pufïendorf; c'est uniquement parce qu'on ne voit plus iiarmi nous des hordes sauvages et affamées sortir de leur pays pour en aller détruire un auti*e. Nos peuples ne font plus la guerre. Des rois, des évêques, des électeurs, des séna- teurs, des bourgmestres, ont un certain terrain à défendre. Des hommes qui sont leurs troupeaux paissent dans ce terrain. Les maîtres ont pour eux la laine, le lait, 4a peau, et les cornes, avec quoi ils entretiennent des chiens armés d'un collier, pour garder le pré, et pour prendre celui du voisin dans l'occasion. (!es cliiens se battent; mais les moutons, les bœufs, les ânes, ne se battent pas : ils attendent patiemment la décision qui leur apprendra à quel maître leur lait, leur laine, leurs cornes, leur peau, appartiendront.

Quand le prince Eugène assiégeait Lille, les dames de la ville allèrent à la comédie pendant tout le siège; et dès que la caiiitulation fut faite, le peuple paya tranquillement à l'empereur ce qu'il payait auparavant au roi de France. Point do

10. — Satires. 13

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