Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/154

Cette page n’a pas encore été corrigée

U4 LE MARSEILLOIS ET LE LION.

Que la terre est son trône, et que dans l'étendue

Les astres sont formés pour réjouir sa vue.

11 conclut qu'étant prince, un sujet africain

Ne pouvait sans pécher manger son souverain.

Le lion, qui rit peu, se mit pourtant à rire;

Et, voulant par plaisir connaître cet empire,

En deux grands coups de griffe il dépouilla tout nu

De Tunivers entier le monarque absolu.

11 vit que ce grand roi lui cachait sous le linge Un corps faible monté sur deux fesses de singe, A deux minces talons deux gros pieds attachés, Par cinq doigts superflus dans leur marche empêchés, Deux mamelles sans lait, sans grâce, sans usage, Un crâne étroit et creux couvrant un plat visage, Tristement dégarni du tissu de cheveux Dont la main d'un barbier coiffa son front crasseux. Tel était en effet ce roi sans diadème. Privé de sa parure, et réduit à lui-même. 11 sentit en effet qu'il devait sa grandeur Au fil d'un perruquier, aux ciseaux d'un tailleur.

(( Ah! dit-il au lion, je vois que la nature Me fait faire en ce monde une triste figure : Je pensais être roi ; j'avais certes grand tort. Vous êtes le vrai maître, en étant le plus fort. Mais songez qu'un héros doit dompter sa colère; Un roi n'est point aimé s'il n'est point débonnaire. Dieu, comme vous savez, est au-dessus des rois : Jadis en Arménie il vous donna des lois Lorsque dans un grand coffre, à la merci des ondes, Tous les animaux purs, ainsi que les immondes, Par Noé mon aïeul enfermés si longtemps S

��homme fort estimable, prétend que toutes les bêtes ont un profond respect pour l'homme. Il est pourtant fort vraisemblable que les premiers ours et les premiers tigres qui rencontrèrent les premiers hommes leur témoignèrent peu de vénération, surtout s'ils avaient faim.

Plusieurs peuples ont cru sérieusement que les étoiles n'étaient faites que pour éclairer les hommes pendant la nuit. 11 a fallu bien du temps pour détromper notre orgueil et notre ignorance; mais aussi plusieurs philosophes, et Platon entre autres, ont enseigné que les astres étaient des dieux. Saint Clément d'Alexandrie et Origène ne doutent pas qu'ils n'aient des âmes capables de bien et de mal; ce sont des choses très-curieuses et très-instructives. {NoU de Voltaire, 1768.)

1. Il faut pardonner au lion s'il ne connaissait pas Noé. Les Juifs sont les seuls qui l'aient jamais connu. On ne trouve ce nom chez aucun autre peuple de la terre.

�� �