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[68] LE RUSSE A PARIS. 125

Nous quittons et la Foire et l'Opéra-Comique, Pour juger de Lefraiic le style académique, Lefranc de Pompignan dit à tout l'univers Que le roi lit sa prose, et même eiicor ses vers. L'univers cependant voit nos apothicaires Combattre en parlement les jésuites leurs frères ' ;

en forme de préface, qu'il a été trompé par de faux mémoires qu'on lui avait don- nés. Il justifie sa pièce en rapportant plusieurs passages tirés de l'Encyclopédie, et la plupart de ces passages ne se trouvent pas dans l'Encyclopédie. Il cite plu- sieurs traits de quelques mauvais livres intitulés l'Homme plante et la Vie heu- reuse, comme si ces livres étaient composés par quelques-uns de ceux qui ont mis la main à l'Encyclopédie ; mais ces livres détestables, contre lesquels il s'élève avec une juste indignation, sont d'un médecin nommé La .Alétrie, natif de Saiiit- Malo, de l'Académie de Berlin, qui les composa à Berlin il j' a plus de douze ans, dans des accès d'ivresse. Ce La JVIétrie n'a jamais été en relation avec aucun des citoyens qui sont maltraités dans la pièce des Pliilosophes.

Ceux qu'on insulte dans cette pièce sont \L Ductos, secrétaire perpétuel de l'Académie française, auteur de plusieurs ouvrages très-estimables; M. d'Alembert, de la même Académie et de celle des sciences, célèbre par sa vaste littérature, par ses connaissances profondes dans les mathématiques, et par son génie; M. Diderot, dont le public fait le même éloge; M. le chevalier de Jaucourt, homme d'une grande naissance, auteur de cent excellents articles qui enrichissent le Dictionnaire ency- clopédique; M, Helvétius, admirable (ce mot n'est pas trop fort) par une action unique : il a quitté deux cent mille livres de rente pour cultiver les belles-lettres en paix, et il fait du bien avec ce qui lui reste. La facilité et la bonté de son carac- tère lui ont fait hasarder, dans un livre d'ailleurs plein d'esprit, des propositions fausses et très-répréhensibles, dont il s'est repenti le premier, à l'exemple du grand Fénelon. L'auteur de la comédie des Philosophes se repent aussi d'avoir porté le poignard dans ses blessures; il a des remords d'avoir imputé des maximes et des vues pernicieuses aux plus honnêtes gens qui soient en France, à des hommes qui n'ont jamais fait le moindre mal à personne, et qui n'en ont jamais dit. En qualité de citoyen, il souhaite que le Dictionnaire encyclopédique se conti- nue, que les libraires qui ont fait cette grande entreprise ne soient pas ruinés, que les souscripteurs ne perdent point leurs avances.

Ce livre, qui se perfectionnait sous tant de mains, devenait cher et nécessaire à la nation. J'ai vu l'article Roi en manuscrit; des étrangers ont pleuré de ten- dresse au portrait qu'on fait de Louis XV, et ils ont souhaité d'être ses sujets; la reine son épouse regretterait l'article Reine, si sa vertu modeste pouvait lui faire regretter les plus justes louanges. Au mot Guerre, on croirait que celui qui com- mande aujourd'hui nos armées, et plusieurs lieutenants généraux, ont été désignés par l'auteur, qui est lui-même un excellent officier. Le mot Siège forme un article bien important pour nous; la prise du Port-Mahon immortalise le nom du général et le nom français : en un mot, cet ouvrage eût fait notre gloire, et il est bien honteux qu'il ait essuyé à la foLs la persécution et le ridicule. (Note de Voltaire, 17G0.) — L'auteur de l'article Guerre dans l'Encyclopédie est le comte de Tres- san. L'officier qui commandait les armées, en ITjO, est le duc de Broglie. ( B.)

1. Le 14 mai 1760, jour de l'anniversaire de la mort de Henri IV, les apothi- caires de Paris firent saisir, dans un couvent de jésuites qu'on appelait la maison professe, dos drogues que les jésuites vendaient en fraude, et leur firent un procès au parlement, qui condamna ces pères. On disait qu'ils débitaient chez eux ces drogues pour empoisonner les jansénistes. {Note de Voltaire, 1771.) — Dans les

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