Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/117

Cette page n’a pas encore été corrigée

[20i| LE PAUVRE DIA LE. 107

Dont à la Vierge il demandait pardon.

— Gresset se trompe, il n'est pas si coupable : Un vers heureux et d'un tour agréable

Ne suffit pas; il faut une action, De rintérût, du comi(|ue, une fable, Des mœurs du temps un portrait Aéritable, Pour consommer cette œuvre du démon. Mais que fit-il dans ton affliction?

— 11 me donna les conseils les plus sages: « Quittez, dit-il, les profanes ouvrages;

, « Faites des vers moraux contre l'amour;

« Soyez dévot, montrez-vous à la cour. »

« Je crois mon homme, et je vais à Versaille: Maudit voyage! hélas! chacun se raille En ce pays d'un pauvre auteur moral ; Dans l'antichambre il est reçu bien mal, Et les laquais insultent sa figure Par un mépris pire encor que l'injure. Plus que jamais confus, humihé, Devers Paris je m'en revins à pied.

u L'abbé Trublet alors avait la rage* D'être à Paris un petit personnage ;

1. L'abbé Trublot, auteur do quatre tomes d'Essais de Ultérature. Ce sont de CCS livres inutiles, où l'on ramasse de prétendus bons mots qu'on a entendu dire autrefois, dos sentences rebattues, des pensées d'autrui délayées dans de longues phrases, de ces livres enfin dont on pourrait faire douze tomes avec le seul secours du Polyanthe. (Note de Voltaire, 1771.) — On appelle Polyanthea le volume intitulé Florilegii magni, seu Pohjanlheœ lloribus novissimis sparsœ /<br« XXIII, etc. C'est un recueil par ordre alpiiabéticiue de matières, de définitions, pensées, maxi- mes, adages d'auteurs célèbres. (B.)

— En entrant dans Paris, le Pauvre Diable entra, pour ainsi dire, dans la mémoire de tous les gens do goût... Le lendemain même, M. Suard rencontre l'abbé Trublet sous les guichets du Carrousel. Ce bon diable avait aussi retenu la pièce tout entière, et ce qu'il savait mieux, c'étaient les vers sur lui, si sanglants et si gais. 11 ne les récitait pas seulement, il les commentait. « Observez bien, disait-il à M. Suard, qu'un homme de peu de goût et de peu de talent aurait pu faire le vers composé d'un même mot répété trois fois :

Il compilait, compilait, compilait.

mais qu'il n'y avait qu'un homme de beaucoup de talent et de beaucoup de goût qui pouvait le laisser. » Voltaire, qui ne l'a pas ignoré, aurait pu écrire à Trublet, comme Horace à TibuUe :

Albi, nostrorum sermonum candide judex.

(Garât, Mémoires historiques sur le dix-huitième siècle, Paris, 1829, tome I'-'", pages 129-130.

�� �