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DISSERTATION SUR LA TRAGÉDIE. 489

PREMIÈRE PARTIE.

Des tragédies grecques imitées par quelques opéras italiens et français.

Un célèbre auteur de votre nation dit que, depuis les beaux jours d’Athènes, la tragédie, errante et abandonnée, cherche de contrée en contrée quelqu’un qui lui donne la main et qui lui rende ses premiers honneurs, mais qu’elle n’a pu le trouver.

S’il entend qu’aucune nation n’a de théâtres où des chœurs occupent presque toujours la scène et chantent des strophes, des épodes, et des antistrophes, accompagnées d’une danse grave ; qu’aucune nation ne fait paraître ses acteurs sur des espèces d’échasses, le visage couvert d’un masque qui exprime la douleur d’un côté et la joie de l’autre ; que la déclamation de nos tragédies n’est point notée et soutenue par des flûtes, il a sans doute raison : je ne sais si c’est à notre désavantage. J’ignore si la forme de nos tragédies, pliis rapprochée de la nature, ne vaut pas celle des Grecs, qui avait un appareil plus imposant.

Si cet auteur veut dire qu’en général ce grand art n’est pas aussi considéré depuis la renaissance des lettres qu’il l’était autrefois ; qu’il y a en Europe des nations qui ont quelquefois usé d’ingratitude envers les successeurs des Sophocle et des Euripide ; que nos théâtres ne sont point de ces édifices superbes dans lesquels les Athéniens mettaient leur gloire ; que nous ne prenons pas les mêmes soins qu’eux de ces spectacles devenus si nécessaires dans nos villes immenses, on doit être entièrement de son opinion :

El sapit, et mecum facil, et Jove judicat aequo.

HoKACK, II, ép. I, 68.

OÙ trouver un spectacle qui nous donne une image de la scène grecque ? C’est peut-être dans vos tragédies, nommées opéras, que cette image subsiste. Quoi ! me dira-t-on, un opéra italien aurait quelque ressemblance avec le théâtre d’Athènes ? Oui. Le récitatif italien est précisément la mélopée des anciens ; c’est cette déclamation notée et soutenue par des instruments de musique. Cette mélopée, qui n’est ennuyeuse que dans vos mauvaises tragédies opéras, est admirable dans vos bonnes pièces. Les chœurs que vous y avez ajoutés depuis quelques années, et qui sont liés essentiellement au sujet, approchent d’autant plus des chœurs des anciens.