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De déserts en déserts errant, persécuté,
J'ai langui dans l'opprobre et dans l'obscurité.
Le ciel sait cependant si, parmi tant d'injures, 
J'ai permis à ma voix d'éclater en murmures.
Malgré l'ambition qui dévorait mon coeur,
J'embrassai les vertus qu'exigeait mon malheur ;
Je respectai, j'aimai, jusqu'à votre misère ;
Je n'aurais point aux dieux demandé d'autre père : 
Ils m'en donnent un autre, et c'est pour m'outrager.
Je suis fils de Cresphonte, et ne puis le venger.
Je retrouve une mère, un tyran me l'arrache :
Un détestable hymen à ce monstre l'attache.
Je maudis dans vos bras le jour où je suis né ; 
Je maudis le secours que vous m'avez donné.
Ah, mon père ! Ah ! Pourquoi d'une mère égarée
Reteniez-vous tantôt la main désespérée ?
Mes malheurs finissaient ; mon sort était rempli.

Narbas

Ah ! Vous êtes perdu : le tyran vient ici.


Scène II

Polyphonte, Égisthe, Narbas, Euryclès, gardes.

POLYPHONTE

Narbas et Euryclès s'éloignent un peu.  

Retirez-vous ; et toi, dont l'aveugle jeunesse
Inspire une pitié qu'on doit à la faiblesse,
Ton roi veut bien encor, pour la dernière fois,
Permettre à tes destins de changer à ton choix
Le présent, l'avenir et jusqu'à ta naissance ;
Tout ton être, en un mot, est dans ma dépendance.
Je puis au plus haut rang d'un seul mot t'élever,
Te laisser dans les fers, te perdre ou te sauver.
Élevé loin des cours et sans expérience,
Laisse-moi gouverner ta farouche imprudence.
Crois-moi, n'affecte point, dans ton sort abattu,
Cet orgueil dangereux que tu prends pour vertu.
Si dans un rang obscur le destin t'a fait naître,
Conforme à ton état, sois humble avec ton maître.