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Je me connais ; je sais que, blanchi sous les armes,
Ce front triste et sévère a pour vous peu de charmes : 
Je sais que vos appas, encor dans leur printemps,
Pourraient s'effaroucher de l'hiver de mes ans ;
Mais la raison d'état connaît peu ces caprices ;
Et de ce front guerrier les nobles cicatrices
Ne peuvent se couvrir que du bandeau des rois. 
Je veux le sceptre et vous pour prix de mes exploits.
N'en croyez pas, madame, un orgueil téméraire :
Vous êtes de nos rois et la fille et la mère ;
Mais l'état veut un maître, et vous devez songer
Que pour garder vos droits il les faut partager.

Mérope 

Le ciel, qui m'accabla du poids de sa disgrâce,
Ne m'a point préparée à ce comble d'audace.
Sujet de mon époux, vous m'osez proposer
De trahir sa mémoire et de vous épouser ?
Moi, j'irais de mon fils, du seul bien qui me reste, 
Déchirer avec vous l'héritage funeste ?
Je mettrais en vos mains sa mère et son état,
Et le bandeau des rois sur le front d'un soldat ?

POLYPHONTE

Un soldat tel que moi peut justement prétendre
À gouverner l'état quand il l'a su défendre.
Le premier qui fut roi fut un soldat heureux ;
Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux[1].
Je n'ai plus rien du sang qui m'a donné la vie ;
Ce sang s'est épuisé, versé pour la patrie ;
Ce sang coula pour vous ; et, malgré vos refus,  
Je crois valoir au moins les rois que j'ai vaincus :
Et je n'offre en un mot à votre âme rebelle
Que la moitié d'un trône où mon parti m'appelle.

Mérope

Un parti ! Vous, barbare, au mépris de nos lois !
Est-il d'autre parti que celui de vos rois ?
Est-ce là cette foi si pure et si sacrée,
Qu'à mon époux, à moi, votre bouche a jurée ?
La foi que vous devez à ses mânes trahis,
À sa veuve éperdue, à son malheureux fils,
À ces dieux dont il sort, et dont il tient l'empire ?

  1. Vers d’Eriphyle