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AVERTISSEMENT.

les annales du théâtre. On lui adressa une pièce de vers qui se termine ainsi :

         Eh ! qui pourrait ne point aimer
La veuve de Cresphonte et la mère d’Égisthe ?
Dumesnil, apprends-moi ce secret si vanté :
Le talent séducteur d’émouvoir et de plaire.
Sans tes divins talents Apollon eût douté
Qu’on pût prêter encor des charmes à Voltaire.

Cette actrice avait innové sur un point dans cette pièce : elle osa, pour la première fois, courir sur la scène. Jusque-là on croyait que courir blessait la dignité tragique. Les ennemis de Voltaire tirèrent, bien entendu, parti de la supériorité de l’interprétation pour essayer de rabaisser le mérite de son œuvre. On prête à Fontenelle le mot suivant, quand Mérope parut imprimée : « Les représentations de Mérope, dit-il, ont fait beaucoup d’honneur à M. de Voltaire ; et la lecture en fait encore plus à Mlle Dumesnil. » Fontenelle n’aurait pas même eu le mérite de l’invention, car cette facile épigramme avait été faite plus d’une fois au dix-septième siècle.

Mérope fut proscrite pendant la Révolution. Le 31 mars 1793, un membre de la Convention, Génissieux, dénonça Mérope à l’Assemblée. Il avait entendu cette pièce au théâtre Montansier. Tous les patriotes avaient été indignés de voir représenter une œuvre dans laquelle une reine en deuil pleure son mari et désire ardemment le retour de ses deux frères absents. La Convention, sur la proposition de Boissy-d’Anglas, adopta un décret qui ordonnait au comité de l’instruction publique de présenter une loi sur la surveillance des spectacles, et qui chargeait le maire de prendre les mesures nécessaires pour empêcher de jouer Mérope.