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AVERTISSEMENT.

vrai, ce Cresphonte sans nom d’auteur ; mais, comme nous trouvons un Cresphonte d’Euripide cité chez Cicéron et chez plusieurs écrivains de l’antiquité, il ne peut guère avoir eu en vue que l’ouvrage de ce poëte. »

Maffei croyait avoir trouvé le plan de ce Cresphonte dans la CLXXXIVe fable d’Hygin, et la découverte n’est pas invraisemblable. Voici dans tous ses détails le récit d’Hygin :

« Cresphonte, roi de Messénie, eut de son épouse Mérope trois fils. Polyphonte excita un soulèvement contre lui : Cresphonte y perdit la vie avec les deux aînés de ses fils. Ensuite Polyphonte s’empara du trône et de la main de Mérope. Celle-ci avait trouvé moyen, pendant le soulèvement, de sauver son troisième fils, nommé Téléphonte, et de le faire parvenir en lieu de sûreté, chez un hôte qu’elle avait en Étolie. À mesure que Téléphonte grandissait, les inquiétudes de Polyphonte augmentaient. Il n’avait rien de bon à attendre de ce jeune homme : il promit donc une grande récompense à qui le débarrasserait de lui. Téléphonte en fut instruit, et se sentant capable d’entreprendre sa vengeance, il partit secrètement d’Étolie, passa en Messénie, vint trouver le tyran, lui dit qu’il avait tué Téléphonte, et réclama le salaire promis pour ce meurtre.

Polyphonte l’accueillit, et ordonna qu’on lui donnât l’hospitalité dans le palais jusqu’à ce qu’il pût l’interroger à loisir. Téléphonte fut donc conduit dans la chambre des hôtes, où il s’endormit de fatigue. Pendant ce temps, le vieux serviteur dont la mère et le fils s’étaient servis jusqu’alors pour correspondre ensemble vint tout en larmes trouver Mérope, et lui annonça que Téléphonte était sorti d’Étolie sans qu’on sût où il était allé. Aussitôt Mérope, qui n’ignorait pas de quoi l’étranger s’était vanté, court, une hache à la main, dans la chambre des hôtes : elle allait infailliblement le tuer dans son sommeil si le vieillard, qui l’avait suivie, n’avait reconnu à temps le fils et empêché la mère d’accomplir l’attentat.

Tous deux aussitôt font cause commune. Mérope feignit de s’apaiser et de se réconcilier avec Polyphonte. Celui-ci se crut arrivé au terme de tous ses vœux, et voulut en témoigner sa reconnaissance aux dieux par un sacrifice solennel. Mais, au moment où tout le monde était rassemblé autour de l’autel, Téléphonte dirigea sur le roi le coup dont il feignait de vouloir immoler la victime ; le tyran tomba, et Téléphonte rentra en possession du trône paternel. »

Telles sont les sources anciennes. Voltaire les connut par son prédécesseur italien ; il n’a pas dissimulé d’où l’inspiration lui était directement venue. Lorsqu’on veut se rendre compte de la part d’invention et d’arrangement qui revient au poëte français, c’est la tragédie italienne qu’il faut prendre simplement, et comparer à celle qui en est sortie. La Mérope de Maffei fut représentée à Modène en 1714. Elle obtint en peu d’années soixante éditions dans la seule Italie. La Mérope a été traduite en français par Fréret, en 1728 ; elle le fut aussi par du Bourg en 1743, l’année même où fut représentée la tragédie de Voltaire.

Le succès de Mérope fût plus éclatant que celui de Zaïre. Il alla jusqu’à l’enthousiasme. La cabale fut réduite à l’impuissance. Le public demanda