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Mon fils, à quelle erreur, hélas ! tu t’abandonnes !
Ton esprit, fasciné par les lois d’un tyran,
Pense que tout est crime hors d’être musulman.
Cruellement docile aux leçons de ton maître,
Tu m’avais en horreur avant de me connaître ;
Avec un joug de fer, un affreux préjugé
Tient ton cœur innocent dans le piége engagé.
Je pardonne aux erreurs où Mahomet t’entraîne ;
Mais peux-tu croire un dieu qui commande la haine ?

Séide.

Ah ! Je sens qu’à ce dieu je vais désobéir ;
Non, seigneur, non ; mon cœur ne saurait vous haïr.

Zopire, à part.

Hélas ! Plus je lui parle, et plus il m’intéresse ?
Son âge, sa candeur, ont surpris ma tendresse.
Se peut-il qu’un soldat de ce monstre imposteur
Ait trouvé malgré lui le chemin de mon cœur ?

(À Séide.)

quel es-tu ? De quel sang les dieux t’ont-ils fait naître ?

Séide.

Je n’ai point de parents, seigneur, je n’ai qu’un maître,
Que jusqu’à ce moment j’avais toujours servi,
Mais qu’en vous écoutant ma faiblesse a trahi.

Zopire.

Quoi ! Tu ne connais point de qui tu tiens la vie ?

Séide.

Son camp fut mon berceau ; son temple est ma patrie :
Je n’en connais point d’autre ; et, parmi ces enfants
Qu’en tribut à mon maître on offre tous les ans,
Nul n’a plus que Séide éprouvé sa clémence.

Zopire.

Je ne puis le blâmer de sa reconnaissance.
Oui, les bienfaits, Séide, ont des droits sur un cœur.
Ciel ! Pourquoi Mahomet fut-il son bienfaiteur !

    renferme un sens profond. Un homme, en effet, qui pense que, pour avoir de la justice, de l’humanité, de la générosité, il faut croire une telle opinion spéculative, imaginer que dans un autre monde on sera payé de cette action, savoir même précisément comment on sera payé ; un tel homme regarde nécessairement la vertu comme une chose peu naturelle à l’espèce humaine, ne connaît pas les véritables motifs qui inspirent les actions vertueuses aux âmes nées pour la vertu. Enfin les bonnes actions qu’il a pu faire n’ont été inspirées que par des motifs étrangers, ou bien il n’a pas su démêler le principe de ses propres actions. Tel est le sens de ce vers, le plus philosophique peut-être, et le plus vrai de la pièce. (K.)