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Scène VIII.

ZOPIRE, SÉIDE.
Zopire.

À mes yeux tu te troubles, Séide !
Vois d’un œil plus content le dessein qui me guide :
Otage infortuné, que le sort m’a remis,
Je te vois à regret parmi mes ennemis.
La trêve a suspendu le moment du carnage ;
Ce torrent retenu peut s’ouvrir un passage :
Je ne t’en dis pas plus : mais mon cœur, malgré moi,
A frémi des dangers assemblés près de toi.
Cher Séide, en un mot, dans cette horreur publique,
Souffre que ma maison soit ton asile unique.
Je réponds de tes jours ; ils me sont précieux ;
Ne me refuse pas.

Séide.

Ne me refuse pas.Ô mon devoir ! ô cieux.
Ah, Zopire ! est-ce vous qui n’avez d’autre envie
Que de me protéger, de veiller sur ma vie ?
Prêt à verser son sang, qu’ai-je ouï ? qu’ai-je vu ?
Pardonne, Mahomet, tout mon cœur s’est ému.

Zopire.

De ma pitié pour toi tu t’étonnes peut-être ;
Mais enfin je suis homme, et c’est assez de l’être
Pour aimer à donner des soins compatissants
À des cœurs malheureux que l’on croit innocents.
Exterminez, grands dieux, de la terre où nous sommes,
Quiconque avec plaisir répand le sang des hommes[1] !

Séide.

Que ce langage est cher à mon cœur combattu !
L’ennemi de mon dieu connaît donc la vertu !

Zopire.

Tu la connais bien peu, puisque tu t’en étonnes[2].

  1. Sous la Terreur, ces deux vers étaient retranchés par ordre. (Voyez Histoire du Théâtre-Français, depuis le commencement de la Révolution jusqu’à la réunion générale, par Étienne et Martainville, t. III, p. 143.)
  2. C’est la seule bonne réponse à tous ceux qui croient ou font semblant de croire qu’il n’y a de vertu que parmi les hommes qui pensent comme eux. Ce vers