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Ma vie est un combat[1], et ma frugalité
Asservit la nature à mon austérité :
J’ai banni loin de moi cette liqueur traîtresse
Qui nourrit des humains la brutale mollesse :
Dans des sables brûlants, sur des rochers déserts,
Je supporte avec toi l’inclémence des airs :
L’amour seul me console ; il est ma récompense,
L’objet de mes travaux, l’idole que j’encense,
Le dieu de Mahomet ; et cette passion
Est égale aux fureurs de mon ambition.
Je préfère en secret Palmire à mes épouses.
Conçois-tu bien l’excès de mes fureurs jalouses,
Quand Palmire à mes pieds, par un aveu fatal,
Insulte à Mahomet, et lui donne un rival ?

Omar.

Et tu n’es pas vengé ?

Mahomet.

Et tu n’es pas vengé ? Juge si je dois l’être.
Pour le mieux détester, apprends à le connaître.
De mes deux ennemis apprends tous les forfaits :
Tous deux sont nés ici du tyran que je hais.

Omar.

Quoi ! Zopire…

Mahomet.

Quoi ! Zopire…Est leur père : Hercide en ma puissance
Remit depuis quinze ans leur malheureuse enfance.
J’ai nourri dans mon sein ces serpents dangereux ;
Déjà sans se connaître ils m’outragent tous deux.
J’attisai de mes mains leurs feux illégitimes.
Le ciel voulut ici rassembler tous les crimes.
Je veux… leur père vient ; ses yeux lancent vers nous
Les regards de la haine, et les traits du courroux.
Observe tout, Omar, et qu’avec son escorte
Le vigilant Hercide assiège cette porte.
Reviens me rendre compte, et voir s’il faut hâter
Ou retenir les coups que je dois lui porter.

  1. On sait que Beaumarchais prit cet hémistiche pour devise. (G. A.)