Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/282

Cette page n’a pas encore été corrigée

et trois petits garçons égorgés, pour nous aller enterrer dans une chapelle de jésuites, à deux lieues du château de mes pères. Un jésuite nous jeta de l’eau bénite ; elle était horriblement salée ; il en entra quelques gouttes dans mes yeux : le père s’aperçut que ma paupière fesait un petit mouvement : il mit la main sur mon cœur, et le sentit palpiter ; je fus secouru, et au bout de trois semaines il n’y paraissait pas. Vous savez, mon cher Candide, que j’étais fort joli ; je le devins encore davantage ; aussi le révérend père Croust[1], supérieur de la maison, prit pour moi la plus tendre amitié : il me donna l’habit de novice : quelque temps après je fus envoyé à Rome. Le père général avait besoin d’une recrue de jeunes jésuites allemands. Les souverains du Paraguai reçoivent le moins qu’ils peuvent de jésuites espagnols ; ils aiment mieux les étrangers, dont ils se croient plus maîtres. Je fus jugé propre par le révérend père général pour aller travailler dans cette vigne. Nous partîmes, un Polonais, un Tyrolien, et moi. Je fus honoré, en arrivant, du sous-diaconat et d’une lieutenance : je suis aujourd’hui colonel et prêtre. Nous recevrons vigoureusement les troupes du roi d’Espagne ; je vous réponds qu’elles seront excommuniées et battues. La Providence vous envoie ici pour nous seconder. Mais est-il bien vrai que ma chère sœur Cunégonde soit dans le voisinage, chez le gouverneur de Buénos-Ayres ? Candide

  1. Dans les premières éditions, au lieu de Croust, on lit : Didrie. Mais l’édition fesant partie du volume intitulé : Seconde suite des Mélanges, 1761, porte déjà Croust. Il est question du révérend P.Croust, le plus brutal de la société, dans le tome XXX, page 429. B.