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celle des femmes, les autres vont gouverner des états[1]. On me fit cette opération avec un très grand succès, et j’ai été musicien de la chapelle de madame la princesse de Palestrine. De ma mère ! m’écriai-je. De votre mère ! s’écria-t-il en pleurant : quoi ! vous seriez cette jeune princesse que j’ai élevée jusqu’à l’âge de six ans, et qui promettait déjà d’être aussi belle que vous êtes ? – C’est moi-même ; ma mère est à quatre cents pas d’ici coupée en quartiers sous un tas de morts…..

Je lui contai tout ce qui m’était arrivé ; il me conta aussi ses aventures, et m’apprit comment il avait été envoyé chez le roi de Maroc par une puissance chrétienne, pour conclure avec ce monarque un traité par lequel on lui fournirait de la poudre, des canons, et des vaisseaux, pour l’aider à exterminer le commerce des autres chrétiens. Ma mission est faite, dit cet honnête eunuque ; je vais m’embarquer à Ceuta, et je vous ramènerai en Italie. Ma che sciagura d’essere senza coglioni !

Je le remerciai avec des larmes d’attendrissement ; et au lieu de me mener en Italie, il me conduisit à Alger, et me vendit au dey de cette province. À peine fus-je vendue, que cette peste qui a fait le tour de l’Afrique, de l’Asie, de l’Europe, se déclara dans Alger avec fureur. Vous avez vu des tremblements de terre ; mais, mademoiselle, avez-vous jamais eu la peste ? Jamais, répondit la baronne.

  1. Farinelli, chanteur italien, né à Naples en 1705, sans être ministre, gouvernait l’Espagne sous Ferdinand VI ; il est mort en 1782. Voltaire reparle de ce Farinelli dans la Conversation de l’Intendant des menus en exercice : voyez les Mélanges, année 1761. B.