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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE


V


— Second tableau, Ebba, continua Christine. Tu vois, me voici de nouveau dans les bras de mon père et il est encore revêtu de son armure. Mais cette fois il est à cheval, sur son alezan doré, à la petite tête busquée, au col arrondi, qui avait toujours l’air de danser. Qu’ils sont beaux tous deux ! Ils devaient être tués le même jour sur le champ de bataille de Lutzen.

— Quel âge aviez-vous, Madame, au temps de ce portrait ?

— Tutoie-moi, Ebba, tutoie-moi, que diable ! Nous sommes de vieilles amies — huit ans, pense donc ! — et nous allons nous séparer.

— Pourquoi me le rappeler, Christine, et me percer chaque fois le cœur ? Quel âge donc avais-tu ?

— Trois ans peut-être : regarde, je porte déjà un petit justaucorps, des cheveux jusqu’à la nuque, et de minuscules souliers à la poulaine… Je venais d’être malade à mourir. Mon père, qui séjournait aux mines du Nord, revint à une allure d’enfer. On désespérait de me sauver. Je guéris. Il fit chanter une fois de plus le Te Deum et, ne voulant plus se séparer de moi, il m’emmena avec lui à Kolmar pour m’inspirer, comme il disait, son propre esprit guerrier. Le gouverneur de la ville n’osait pas faire tirer les salves d’honneur de peur de me faire pleurer.

— Faites tirer, s’écria mon père, elle est fille de soldat !

— Et bien loin d’avoir peur, voilà qu’aux détonations, je ris aux éclats, je bats des mains, je trépigne et veux échapper à ma nourrice, assise avec ma mère dans un carrosse. Le roi tout réjoui, se penchant vers moi, Anna de Linden grimpe sur la banquette et me remet entre ses bras.

Il me baise au front et tu le vois sur cette toile, il me hausse et