Page:Viollis - Le secret de la reine Christine, 1944.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Comme tu es frivole, Ebba ! Pauvre Descartes ! Que de chagrin me donne sa pensée ! Notre première entrevue fut une déception. Il était si sombre, si muet, si timide. Il se plaignait doucement de ce que je n’eusse pas encore pris goût à sa philosophie. Je lui rétorquai que je l’avais attendu pour qu’il me l’expliquât… Mais peu à peu il était devenu mon ami, mon confident. Il était le désintéressement même. Je le consultais sur les affaires de l’Etat, la théologie, sur mon projet de fonder une Académie, sur les plaisirs de la Cour, que sais-je ? Il répondait à tout avec une égale affabilité. Un jour pourtant je le suppliai de participer à un ballet en l’honneur de la paix. Il s’y refusa net. Mais pour me plaire, ce grave philosophe écrivit pour la fête une pastorale en vers du dernier galant.

— Son séjour, je crois, ne dura pas plus de quatre mois ?

— Hélas ! Je ne le savais point si fragile. Je le recevais, comme mes autres maîtres, à cinq heures du matin, dans ma bibliothèque glacée. Un jour, je l’attendis en vain. La bise lui avait enflammé le poumon. La fièvre montait. Je lui envoyai mes médecins privés. S’en méfiait-il ? Il refusa ordonnances et drogues. Quand j’allais le voir il parlait bas comme pour lui-même. M’inclinant sur son lit, je surpris son regard limpide et entendis : « Je me retire content de la vie et des hommes, confiant en la bonté de Dieu. » Bref, il s’éteignit en quelques jours, d’une fin douce, pareille à sa vie, me laissant un éternel remords… Et dire que je ne lui ai même pas fait élever un monument !… Je demanderai à Charles-Gustave de réparer cette omission.

— Ne vous reprochez rien, Christine. C’est en partie le chagrin que vous causa cette mort qui vous rendit malade.

— Cette mort, et ton mariage et ton départ, Ebba, et tout ce qui les avait précédés. Ah ! les tristes jours ! Depuis le lac Moelar, ma santé ne cessait de décliner. Je ne pouvais plus supporter aucun aliment. C’est tout juste si je pouvais avaler quelques gorgées d’eau. Et je devenais chaque jour plus maigre, plus jaune, un vrai carême ! Sans compter les accès de fièvre, les syncopes, les pertes de sang. Et si faible ! Où étaient mes belles chevauchées, mes prouesses à l’escrime, à la chasse ? Ajoute que mon humeur se faisait sans cesse plus