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ALEXIS DURAND.
BOUQUET DU ROI


Toi, dont la nuit des temps cache le premier âge,
Et dont avec transport j’aime l’antique ombrage,
Géant de la forêt, noble Bouquet du Roi,
Que l’œil da voyageur admire avec effroi ;
Si le soufle inconnu, la végétale vie
Qui dans un double corps tient la sève asservie,
Ne voile pas ton front, empreint de majesté,
Du lugubre bandeau qu’on nomme cécité ;
Si tel est, en effet, le bonheur de ton être,
Patriarche des bois, tu dois me reconnaître.
C’est que depuis le jour où la main du hasard
Te créa l’ornement de l’agreste bazar,
Villageois, citadins et nobles personnages,
Nul ne fit près de toi plus de pélerinages.
Poussé par je ne sais quel démon familier,
Qui s’empara de moi, quand j’étais écolier,
Soit que le ciel, armé des feux de la torride,
Fit du vaste empyrée une fournaise aride,
Soit qu’il se dérobât dans l’humide brouillard,
Je venais, comme on vient visiter un vieillard,
Qui, dans son ermitage, à la foule ravie
Révèle quelques uns des secrets de la vie,
Et, d’un titre sublime à nos yeux revêtu,
De l’homme infortuné ravive la vertu.
Toi, donc, qui réunis, sous une immense écorce,
La taille, la beauté, la vieillesse et la force,
Si le ciel, un instant, infidèle à ses lois,
Favorisait ton sein d’une éloquente voix,
Quel torrent précieux de vérités sublimes
Chez les humains surpris verseraient tes deux cimes !