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CONCLUSION.

époque indiquent, d’ailleurs, une industrie locale avancée, indépendante, possédant ses procédés et son goût propre. Aussi voit-on alors les autres contrées envoyer des artistes et des artisans étudier à Paris, centre de l’unité des arts pendant les XIIIe et XIVe siècles. Jusqu’à la fin du XIIe siècle, on ne peut dire qu’il y ait un mobilier français ; il n’en est plus ainsi au XIIIe siècle. Alors les artisans procèdent méthodiquement dans leur fabrication, tout comme les maîtres des œuvres d’architecture dans la construction ; le mobilier suit une mode locale, il se transforme chez lui sans subir d’influences étrangères. Certaines villes sont renommées pour leurs tissus, pour les ouvrages de métal fondu ou repoussé. Les fabricants emploient de préférence les matières premières provenant du sol. Le bois, et le bois de chêne particulièrement, sculpté, peint ou doré, remplace ces ouvrages de marqueterie en faveur en Orient et même en Italie. Le fer forgé remplace le bronze coulé. Les étoffes de laine couvrent les murs et les pavés. L’ivoire, l’ébène, l’or et l’argent, les verroteries ne sont employés que pour de petits meubles très portatifs, mais ne trouvent plus guère leur emploi pour les meubles d’un usage ordinaire. La main-d’œuvre, enfin, l’emporte sur la valeur de la matière employée, ce qui est le signe d’un art qui n’a plus rien de barbare, chez qui le goût s’est développé. La ligne de démarcation entre les arts industriels empruntés à l’Orient et ceux qui s’élèvent chez nous au XIIIe siècle est facile à tracer. Jusque vers le milieu du XIIe siècle, l’ornementation sculptée ou peinte est toute conventionnelle ; on reconnaît parfaitement qu’elle subit une influence dont elle ne se rend pas compte ; elle ne consiste même souvent qu’en un travail mécanique dans lequel la main, guidée par des traditions, suit certaines lois importées ; tandis qu’à dater de la fin du XIIe siècle, dans l’architecture comme dans les meubles, la décoration peinte ou sculptée commence à rechercher l’imitation des végétaux de la contrée ; plus tard elle arrive même à pousser cette imitation jusqu’au réalisme. Alors les dernières traces des arts byzantins sont complétement effacées et l’art industriel nous appartient : car si, dans l’ornementation, l’imitation des végétaux et animaux se fait sentir, dans la composition des meubles les traditions font place à l’observation des besoins auxquels il faut satisfaire et des propriétés particulières à la matière employée. C’est le rationalisme substitué à la tradition.