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CONCLUSION.

c’est une imitation grossière ou plutôt un pillage des arts du Bas-Empire en Occident ; mais les types subsistaient et pouvaient encore servir de modèles. Il n’en est pas de même du mobilier antique, qui dut être promptement détruit ; sa fabrication exigeant des ouvriers habiles, instruits par des traditions non interrompues, était tombée dans l’oubli. L’introduction d’un grand nombre de manuscrits byzantins, d’étoffes et d’objets fabriqués en Orient, fut le point de départ des nouveaux artisans occidentaux, qui s’efforcèrent, non sans succès, de reproduire ces types d’un art très-avancé, assez mal connu chez nous encore aujourd’hui, malgré les nombreux documents que nous avons entre les mains. C’est surtout dans les contrées formant le centre du gouvernement impérial de Charlemagne que l’on voit combien la renaissance byzantine des VIIIe et IXe siècles fut complète, et combien elle laissa des traces profondes et durables. Le manuscrit d’Herrade de Landsberg souvent cité par nous[1] et qui datait du XIIe siècle, nous laissait voir encore, dans ce qui touche au mobilier et aux étoffes, l’influence très-prononcée des manuscrits antérieurs de l’école byzantine. Les quelques débris de meubles carlovingiens qui existent sur les bords du Rhin sont également empreints des arts industriels de l’empire d’Orient. Mais les manuscrits grecs des VIe, VIIe, VIIIe et IXe siècles, bien qu’ils soient nombreux, particulièrement dans la bibliothèque nationale, sont peu connus des gens qui s’occupent d’art, ainsi que nous le disions tout à l’heure ; cependant c’est en examinant leurs précieux feuillets que l’on peut se former une idée de ce qu’était l’art byzantin : c’était un art très-puissant, beaucoup plus fort et vivace que ne l’était l’art romain sous les derniers empereurs de Rome. L’art romain s’était évidemment retrempé en s’établissant à Byzance, et quand on compare les manuscrits grecs des VIIe et VIIIe siècles avec les derniers débris des arts romains sous Constantin en Italie, on constate mieux qu’un progrès : on reconnaît une véritable renaissance, pleine de jeunesse et d’avenir, une verdeur sauvage, plutôt que la décrépitude des derniers artistes de Rome. Ces éléments, importés chez des nations barbares, devaient être beaucoup plus fertiles que ne l’eussent été les traditions affaiblies de l’art romain occidental. Aussi la renaissance carlovingienne a cela de particulier qu’étant le résultat d’une importation étrangère, elle conserve cependant une séve pleine d’énergie, d’originalité, et se trouve en parfaite harmonie avec les mœurs de cette époque.

  1. Biblioth. de Strasbourg. Brûlé par les Allemands.