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choses de ce monde ; que le style se développe avec la plante qui croît suivant certaines lois, et que ce n’est point une sorte d’épice que l’on tire d’un sac pour la répandre sur des œuvres qui, par elles-mêmes, n’ont nulle saveur ; ce jour-là nous pourrons être assurés que la postérité nous accordera le style.

De tout ce qui précède il ressort que nous n’établirons point les règles d’après lesquelles les artistes du moyen âge ont mis le style dans leurs ouvrages. Le style s’y trouve, parce que la forme donnée à l’architecture n’est que la conséquence rigoureuse des principes de structure, lesquels procèdent : 1o des matières à employer ; 2o de la manière de les mettre en œuvre ; 3o des programmes auxquels il faut satisfaire ; 4o d’une déduction logique de l’ensemble aux détails, assez semblable à celle que l’on observe dans l’ordre des choses créées, où la partie est complète comme le tout, se compose comme lui. La plupart des articles du Dictionnaire font assez ressortir l’esprit logique, l’unité de principe qui dirigeaient les maîtres du moyen âge. Ce n’est pas leur faute si nous avons mis l’unité dans l’uniformité, et si nos architectes en sont encore à ne voir que confusion et désordre dans un organisme dont ils n’ont pas étudié les phénomènes et l’enchaînement méthodique. Nous disons organisme, car il est difficile de donner un autre nom à cette architecture du moyen âge, qui se développe et progresse comme la nature dans la formation des êtres ; partant d’un principe très-simple qu’elle modifie, qu’elle perfectionne, qu’elle complique, mais sans jamais en détruire l’essence première. Il n’est pas jusqu’à la loi d’équilibre appliquée à cette architecture pour la première fois, qui ne procure comme une sorte de vie à ces monuments, en opposant, dans leur structure, des actions inverses, des pressions à des pressions, des contre-poids à des porte-à-faux, en décomposant des pesanteurs pour les rejeter loin du point où elles tendraient verticalement ; en donnant à chaque profil une destination en rapport avec la place qu’il occupe, à chaque pierre une fonction telle qu’on ne saurait supprimer aucune d’elles sans compromettre l’ensemble. N’est-ce pas là la vie autant qu’il est permis à l’homme de la communiquer à l’œuvre de ses mains ? Science, ingéniosité que tout cela, objectera-t-on ; mais art, point. Soit ; mais alors qu’est-ce donc que l’art de l’architecture ? Ce n’est donc qu’une forme traditionnelle ou arbitraire, l’une ou l’autre ? Si traditionnelle, pourquoi une tradition plutôt qu’une autre ? Si arbitraire, il n’y a plus ni principes, ni lois ; ce n’est plus un art, mais la plus chère de toutes les fantaisies et la moins justifiée.

Dans un édifice, de ce que chaque pierre remplit une fonction utile, nécessaire ; de ce que chaque profil a une destination précise, et que son tracé indique cette destination ; de ce que le mode de proportions admis dérive d’une harmonie géométrique ; de ce que l’ornementation procède d’une application de la flore, suivant une observation aussi vraie qu’ingénieuse ; de ce que rien n’est livré au hasard ; de ce que les matériaux, sont employés en raison de leurs qualités et indiquent ces qualités par