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contraires à la raison ; mais est-ce faire preuve de goût en architecture que de ne se point appuyer sur la raison, puisque cet art est destiné à satisfaire, avant tout, à des besoins matériels parfaitement définis, et qu’il ne peut mettre en œuvre que des matériaux dont les qualités résultent de lois qu’il nous faut bien subir ?

Croire qu’il peut y avoir du style en architecture dans des œuvres où tout demeure inexpliqué et inexplicable, où la forme n’est que le produit de la mémoire chargée d’une quantité de motifs choisis à droite et à gauche, c’est une illusion. Autant vaudrait dire qu’il peut y avoir du style dans une œuvre littéraire dont les chapitres et même les phrases ne seraient qu’un ramassis décousu emprunté à dix auteurs ayant écrit sur des matières différentes.

Mais sans recourir à ces tristes et dispendieux abus, si nous comparons à notre architecture des XIIe et XIIIe siècles une autre architecture pénétrée du style, quand elle agit librement en raison de son génie, l’architecture romaine de l’empire, nous verrons que cette qualité est plus vivement imprimée dans les œuvres du moyen âge. L’harmonie est plus parfaite dans ces dernières, la liaison plus intime entre la structure et la forme, entre la forme et ce qui la décore.

Prenons un exemple. Voici, figure 6, en A, une retombée de voûtes d’arêtes romaines sur le chapiteau d’une colonne, sur un point rigide vertical. Quelles sont, dans ce membre d’architecture, l’utilité et la raison de l’entablement B ? C’est affaire de goût, répondra-t-on. Mais ma raison et par suite mon goût sont choqués de trouver entre le membre qui porte, C, le chapiteau de la colonne, couronnement et évasement suffisant, toute une ordonnance d’architrave, de frise et de corniche dont je ne saurais comprendre l’utilité ou l’agrément, puisque cette ordonnance est superflue. À quoi bon cette saillie a de corniche ? Est-ce que le sommier b de la voûte ne porterait pas aussi bien sur le chapiteau ? Si ces saillies sont destinées à porter les cintres en charpente qui servent à maçonner la voûte, c’est bien de l’importance donnée à un objet accessoire, et qui ne devrait avoir qu’un caractère provisoire. Des boutisses lancées dans la voûte en d, et que l’on couperait après la construction achevée, auraient rempli aussi bien cet office.

D’ailleurs, pourquoi tant d’efforts apparents, auxquels la décoration prête une si grande valeur, pour porter ces sommiers de voûte dont la pression n’est point verticale, mais oblique, et pénètre dans le massif de la bâtisse ? si bien que la voûte, par l’effet même de ses courbes, ne paraît point, aux yeux, porter sur ces membres saillants ? Si, au contraire, nous examinons une retombée de voûte d’après le système adopté à la fin du XIIe siècle (voyez en G), la chose portée ne repose-t-elle pas de la façon la plus claire sur le faisceau de colonnettes et sur le chapiteau commun ? Y a-t-il là un seul membre inutile, dont on ne puisse immédiatement saisir la fonction et la raison d’être ? Dans les deux cas, le problème à résoudre est identique. Lequel, de l’architecte romain ou du