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on prétendit longtemps accabler l’architecture du moyen âge ? Son unité de style, son but logique, son dédain pour les traditions antiques, sa liberté d’allure, les mystères de sa contexture, étaient autant de reproches à l’adresse des artistes qui ne voulaient plus considérer l’architecture que comme une sorte de jeu de formes empruntées, sans les comprendre, à la Rome impériale ou à l’Italie de la renaissance. Plutôt que de rechercher les principes de l’architecture du moyen-âge et d’en saisir les applications qui peuvent toujours être nouvelles, on trouvait plus simple d’affecter le dédain pour cet art. L’âpreté du style était de la barbarie, la science de ses combinaisons n’était que de la confusion. Mais la nature de ces reproches mêmes indique les qualités qui distinguent cet art ; et l’on ne saurait demander à des artistes pour lesquels l’architecture n’est plus qu’une enveloppe sans rapports avec l’objet, sans signification, sans idées, sans cohésion logique, de comprendre et d’estimer les œuvres de maîtres qui ne posaient pas une pierre ou une pièce de bois, qui ne traçaient pas un profil, sans pouvoir donner la raison de ce qu’ils faisaient.

Trouver un système de structure libre, étendu, et applicable à tous les programmes, permettant d’employer tous les matériaux, se prêtant à toutes les combinaisons les plus vastes comme les plus simples ; revêtir cette structure d’une forme qui n’est que l’expression même du système ; décorer cette forme sans la contrarier jamais, mais au contraire en la faisant ressortir, en l’expliquant par des combinaisons de profils tracés d’après une méthode géométrique, qui n’est qu’un corollaire de celle appliquée aux conceptions d’ensemble ; donner à l’architecture, c’est-à-dire à la structure revêtue d’une forme d’art, des proportions établies sur des principes de stabilité les plus simples et les plus compréhensibles pour l’œil ; enrichir les masses par une ornementation méthodiquement empruntée à la nature, d’après une observation très-délicate de l’organisme végétal et animal ; appliquer enfin à cette architecture complète la statuaire, mais en soumettant celle-ci à des données monumentales qui l’obligent à tenir au monument, à en faire partie : c’est là, en résumé, ce qu’a fait notre école laïque de la fin du XIIe siècle. Le style est inhérent à l’art de l’architecture, quand cet art procède suivant un ordre logique et harmonique, par conséquent, de l’ensemble aux détails, du principe à la forme ; quand il ne remet rien au hasard ou à la fantaisie. Or, c’est la fantaisie, par exemple, qui seule guide l’artiste, s’il pose un ordre devant un mur qui n’en a pas besoin, ou qui donne à des contre-forts faits pour buter la figure d’une colonne faite pour porter ; c’est la fantaisie qui perce dans un même édifice des baies cintrées et des baies terminées carrément en plates-bandes ; qui intercale des corniches saillantes entre des étages, là où il n’y a point d’égout de combles ; qui dresse des frontons sur des baies ouvertes en plein mur ; qui fait couper un étage pour percer une porte d’une hauteur inutile, si l’on a égard aux personnes ou aux véhicules qui passent sous son arc, etc. Si ce n’est la fantaisie, c’est ce que l’on veut bien appeler vulgairement le goût, qui conduit à ces choses